Les films à sketches sont souvent l’assurance de passer au moins quelques bonnes minutes devant un segment qui sort du lot et regorge d’inventivité. Comme sur un court-métrage, un réalisateur se doit d’être percutant au plus vite pour palier aux contraintes temporelles de cet exercice. Le sujet de The Field Guide to Evil apparaît tout à fait idéal pour ce type de narration. Il s’agit d’une anthologie de films ayant tous pour sujet le mal, l’entité démoniaque vue par différents pays, différentes cultures, différentes époques, et rappelant en cela l’excellent jeu Eternal Darkness. On suivra donc chaque fois un personnage ou un groupe, directement confronté au Malin sous une forme ou une autre. Celui-ci peut-être issu d’une religion, d’un folklore, d’une légende ou de l’imagination du scénariste. Le film se découpe ainsi en huit parties, chacune réalisée par un metteur-en-scène différent, de l’Inde à la Turquie, de l’Autriche aux États-Unis, de l’Allemagne à la Grèce et de l’Angleterre à la Pologne.
Une idée intéressante sur le papier mais qui a bien du mal à franchir l’étape de la concrétisation. Le film ouvre sur un générique esthétique, bien foutu, qui plonge directement le spectateur dans l’atmosphère sournoise et maligne qu’on attend de cette péloche. Chaque sketch sera ensuite illustré par quelques cartons qui nous situeront le mythe. S’ensuit alors le premier de la liste, réalisé par les autrichiens Severin Fiala (c’est un homme) et Veronica Franz, qui ont certainement beaucoup apprécié The Witch (de Robert Eggers) et qui livre un segment où une jeune femme se voit peu à peu tourmentée par le diable à mesure qu’elle couche avec une autre donzelle. Quelques fautes de goût, comme des jump scares induits par le démon, entacheront de temps à autre ce sketch qui tient néanmoins la route du début à la fin.
Le deuxième, réalisé par le turc Can Evrenol (Housewife, Baskin), met en scène une jeune femme enceinte qui, après avoir volé une broche à une vieille dame malade dont elle a la charge, sera visitée par un démon qui la fera vaciller. De quoi rappeler le dernier méfait des Trois visages de la peur (Mario Bava). Sans être formidable, le film instaure une ambiance froide et pesante, et tient la route malgré ses faiblesses. Son final, bien que téléphoné, est efficace et enterre largement les autres sketches du film. Parce qu’à partir de là, tout va s’effriter, et il faudra vraiment creuser pour retirer quelque chose de ces essais non-transformés.
Le troisième, de la polonaise Agnieszka Smoczynska, inconnue au bataillon en ce qui me concerne, est un sketch aussi réussi techniquement qu’il est vain narrativement. Un homme est visité par une femme qui lui demande de manger trois cœurs humains si celui-ci veut devenir le plus puissant des hommes, et régner sur le monde. C’est plat, totalement linéaire, sans surprise, et le final est expédié comme si le temps avait manqué. Finalement, ce n’est pas plus mal, on n’aurait pas voulu s’y attarder plus longtemps.
Le quatrième est si catastrophique qu’il en devient jouissif, amenant une telle dose de rires (bien malgré lui) qu’il est certainement mon sketch favoris. On se fend bien la tronche, et tout est si raté qu’on pourrait penser que c’est fait exprès. Le jeu, le montage, la lumière, la mise-en-scène, l’écriture, tout est à chier. Certains personnages apparaissent au petit bonheur la chance, comme une espèce de bûcheron barbu sortant du néant pour vilipender des parents sur le fait qu’ils ne surveillent pas convenablement leur gamin dans la forêt. Cette apparition est si hasardeuse, incongrue, qu’elle apparaît comme placée dans la timeline non pour créer du sens mais pour combler un vide. En effet, un couple avec un enfant partent en séjour dans une cabane, au milieu de la forêt, et se feront débusquer par des enfants cannibales à têtes de melon. Voilà. C’est prodigieux tant c’est mauvais. C’est de l’art en soi. Quand on sait le truc pondu par Calvin Reeder, réalisateur de The Oregonian, on comprend que ce film touche aux méandres du bon goût.
Le soufflet du rire retombe avec le sketch sans relief du grec Yannis Veslemes, où un gobelin sera pris à partie par des adorateurs de Satan. Quelques idées visuelles qui ne sauveront pas un sketch écrit avec les fesses et sans intérêt particulier.
Le sixième, réalisé par Ashim Ahluwalia, est un segment en noir et blanc, dans une esthétique très 50's, plaçant un riche magnat britannique obnubilé par le secret d’un temple hindou, dont une pièce énigmatique ne peut être vue par quiconque sans en subir quelques conséquences malencontreuses. Pareil, c’est vain, sans aspérité, on s’en fout, next.
Le septième, de l’allemande Katrin Gebbe, se déroule dans les alpes bavaroises, à la fin du XVIIIème siècle, où un berger tente de soigner sa soeur habitée par un parasite qui la tue chaque soir et la ressuscite au matin, non sans laisser quelques traces sur le troupeau qui se dilapide à chaque nouvelle nuit. On sait très vite où ça veut en venir, et ça y vient, sans surprise, sans inventivité, et on s’emmerde.
Le dernier (enfin !), sans doute celui que j’attendais réellement, à savoir le segment de l’anglais Peter Strickland (Berberian Sound Studio), apporte une patte visuelle forte et… bah c’est tout. Le sketch est une fable vue/lue/entendue des milliers de fois, avec une petite morale plutôt bancale, punissant le mensonge et la trahison de deux frères cordonniers qui se disputent une princesse. Si même le Peter Strickland est faisandé, que voulez-vous que je vous dise…
Si techniquement le film tient la route et apporte des idées visuelles certaines (sauf pour le quatrième, qui fait tellement tâche qu’on dirait un furoncle sur le nez de Miss France), il ne décolle jamais et enchaîne des segments tous plus creux les uns que les autres. Les deux premiers sont certes sympathiques, mais ne vont pas au-delà. Pour le reste, c’est bon à brûler, inutile, ça n’a absolument pas lieu d’être. Je me demande encore comment ils ont réussi à foirer ce film avec un concept pareil. On passe à autre chose, voulez-vous ?
Jérémie N.
Note du rédacteur : 1,5/5 (Mauvais)
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