vendredi 31 mars 2017

Podcast d'AlternaBis #3 - Mars 2017

Troisième podcast d'AlternaBis.

https://soundcloud.com/user-659657507/podcast-dalternabis-3-mars-2017

Participants :

Jérémie N.
Claude S.
Antoine T.
Bob-Astérix

Brimstone, de Martin Koolhoven

Difficile de parler d’un film comme Brimstone sans trop en dire, sans franchir le cap du spoiler gras et frustrant pour le lecteur qui s’apprête à aller jeter ses mirettes sur la chose. Difficile aussi pour moi qui rédige cette critique et qui, malgré les 2 semaines qui me séparent de la projection du film, ai encore du mal à me faire un avis précis et objectif sur ce qu’il m’a été donné de voir.



Brimstone, kezako ? C’est une sorte de film d’apprentissage se situant dans le middle west du XIXème siècle, nous proposant de suivre la destinée de Liz (Dakota Fanning), jeune mère de famille muette aidant à l’accouchement des femmes de son village. Alors que l’un d’entre eux tourne mal, elle se voit contrainte de choisir entre la vie de l’enfant et celle de la mère. Elle sacrifiera l’enfant. C’est alors qu’une entité malfaisante se lancera à sa poursuite.

Le film est une véritable tragédie grecque, le devenir des personnages est tracé sans que ça ne soit explicité, mais la pesanteur et la dureté du film se blottissent dans nos entrailles dès la première image, formant comme une pression mortifère prophétisant l’aboutissement de ce quadriptyque qui ne peut laisser entrevoir autre chose que le funeste et la géhenne. La déconstruction chronologique du récit, très cohérente, situera un premier acte qui servira d’exposition à l’intrigue, puis débouchera sur un deuxième acte se situant avant le premier, un troisième se situant avant le deuxième, et un quatrième développant la résolution et qui sera donc la juste continuité du premier. Le tout peut paraître un brin cacophonique de prime abord, mais se révèle d’une grande limpidité, chaque acte étant en réalité construit comme un sketch, avec pour chacun un développement en 3 actes tout ce qu’il y a de plus classique.

Cette déconstruction apporte son lot de mauvaises et de bonnes choses. Pour commencer par les mauvaises, disons que Koolhoven se voit obligé de signifier et d’expliquer les petits détails dramaturgiques, comme une simple cicatrice, donnant une fonction très mécanique à certaines séquences et à certains développements scénaristiques. À contrario, cette construction permet de donner une vraie épaisseur au personnage de Dakota Fanning, dont la personnalité que l’on entrevoit de par le premier acte se voit construite sous nos yeux, en temps réel, nous donnant une par une les clefs pour comprendre ce personnage. Si le film ne présente pas une violence graphique exacerbée, il n’en est pas moins extrêmement virulent dans son approche et dans son atmosphère, d’une extrême gravité, d’un sérieux morne et solennel qui pèse véritablement sur toute la durée. Cette sensation d’assister à ce qui donnera naissance à une oraison funèbre est appuyée par les envolées orchestrales qui clôtureront chacun des chapitres en prenant le spectateur par les tripes pour le trainer hors de son confort habituel. Les thématiques abordées sont particulièrement dures et leur approche frontale et implacable font de ce film une œuvre habitée par une mélancolie rarement vue au cinéma. Personnellement, je n’avais pas vu un tel traitement depuis Blood Island (2010), film d’une noirceur hallucinante baigné à la fois dans un réalisme grave et dans une poésie macabre. En résultait un film extrêmement dur et absolument déconcertant.

Mais, parce qu’il y a un mais, cette fresque est certainement trop longue, s’attardant parfois maladroitement sur des éléments qu’on avait pourtant bien cernés en quelques secondes, et passant à la hâte sur d’autres choses qu’on aurait voulues voir développées. Également, le jusqu’au-boutisme de certaines réflexions et le devenir de certains personnages tend parfois dangereusement vers le grand-guignol. Je pense ici à ce qu’il adviendra de la mère de Dakota Fanning, interprétée par Carice van Houten, qui nous sert une scène dont certains ressortiront effarés, mais où d’autres riront de cette capitularde qui pousse sa veulerie à l’extrême, voire à outrance. Rires grinçants évidemment, peut-être malvenus, mais qui soulignent un aspect « ça va trop loin » parfois présent dans le film. Le film a également tendance à étirer au maximum ses thématiques et ses intrigues sans véritable raison que de pérenniser une ambiance établie. Aussi, la déception de la fin restera un vrai point noir sur le tableau, qui expose un point de vue finalement assez passéiste et galvaudé de la femme qui règle ses problèmes sans violence.

Sur le fond, je sais que Brimstone est un film monstrueux. Hélas, sur la forme, ce petit côté La nuit du chasseur revisité et les moult petites choses que je viens de résumer dans la paragraphe précédent qui tiennent le spectateur à distance, le laissant se baigner dans cette atmosphère ahurissante de mal et de noir mais sans l’y laisser sombrer complètement, comme si une main le ramenait à la surface de temps à autres, le faisant sortir du récit, alors qu’il aurait aimé y être lâché totalement, sans en revenir jamais. Et c’est tout le paradoxe de ce film qui me laisse le cul entre deux putains de chaises, que vous devez néanmoins absolument voir (pas les chaises ni mon cul, mais le film), sans aucune contestation possible.





Jérémie N.

Note du rédacteur : 3/5 (Honnête)

Ghost in the Shell, de Rupert Sanders


En ce mois de mars, difficile pour moi de dire que l’on a été franchement gâté au cinéma. Entre des oeuvres sans intérêt telles que Kong: Skull Island et des purges éhontées comme Warrior’s Gate, je dois bien reconnaitre mon très gros énervement par rapport à la production cinématographique de ce mois-ci, notamment lorsque l’on compare à ce qui nous avait été offert en début d’année. Et malheureusement, ce n’est certainement pas Ghost In The Shell, adaptation américaine de l’animé culte de Mamoru Oshii qui va venir changer mon ressenti…

En 1995, Mamoru Oshii avait frappé très fort avec son incroyable film d’animation. En adaptant sur grand écran un manga de Masamune Shirow (également auteur d’Appleseed), Oshii imposait un nouveau standard dans le cinéma d’animation japonais. D’une maturité jusque là jamais atteinte dans ce genre de film, ou les réflexions philosophiques et métaphysiques amenées par l’univers cyberpunk dans lequel se situe le film ainsi que par la nature même des personnages principaux (des cyborgs se découvrant une humanité) côtoyaient une violence surprenante, le tout baignant dans une ambiance quasi contemplative. Une poésie hallucinante se dégageait ainsi du film de Oshii, et il est encore difficile de lui trouver un véritable équivalent dans les productions qui virent le jour par la suite (Satoshi Kon étant clairement l’auteur d’animé japonais qui se rapprochait le plus du cinéma de Oshii, notamment avec Paprika). C’est dire si l’idée même d’une adaptation par les studios hollywoodiens avait de quoi effrayer, d’autant plus lorsque l’on connait la tendance qu’ils ont à vampiriser des oeuvres à la personnalité marquée pour les faire rentrer dans le moule de leurs autres productions.

Et pourtant, je dois bien reconnaitre que je voulais y croire à ce film. Les premières annonces autours du casting avaient de quoi intriguer (Scarlett Johansson comme seule américaine du casting, la présence de Takeshi Kitano…), les premières images promettant un respect de l’univers de l’oeuvre d’origine autant qu’un vrai travail sur la production design, les bandes-annonces envoutantes… Tout me donnait l’espoir que pour une fois, il serait possible que l’on ai une adaptation américaine à gros budget qui ne soit pas aseptisée. Hélas, dès le début, deux point viennent mettre un sérieux doute à ces notes d’espoir. Le premier point vient du carton d’ouverture: en effet, Ghost In The Shell s’ouvrait sur un carton nous expliquant l’importance de la présence de l’informatique dans le monde que l’on allait nous présenter par la suite et donc de comprendre la place de ce pays par rapport aux autres. Ici, ce même carton d’ouverture occulte complètement cela pour nous expliquer le fait que dans le futur, des groupes de policiers existent, et certains membres sont composés à la fois d’organes humains et d’un squelette robotique, décuplant ainsi leur force et leur intelligence. Donc au lieu d’une explication sur la géopolitique du monde, on nous met en avant le fait que l’on va voir Robocop (pas le Verhoeven, hein, le remake). Et il est d’autant plus navrant de se rendre compte que ce carton est d’autant plus inutile que chaque dialogue auquel on assiste pendant la première demi-heure est une illustration du fait que certains sont des cyborgs, et d’autres non. Le deuxième point est le fait que ce qui suit ce carton est la mise en image de la création du cyborg Motoko Kusanagi (Scarlett Johansson), ce qui amène directement à penser que le film, au lieu de s’intéresser à l’univers présent, s’efforcera à mettre en place une Origins Story. 
Et là, bingo: on se tape une explication de comment Batou a obtenu ses yeux, on se tape les recherches sur les parents de Motoko jusqu’aux visites à sa mère, et surtout, on est obligé de subir des plombes de dialogues explicatifs sur comment le monde est devenu tel qu’il est et comment les personnages sont devenus ce qu’ils sont. Et c’est bien là que le bas blesse…

Car là ou réside tout le problème de ce Ghost In The Shell, c’est qu’il est obligé de répondre à une logique de studio, de coller aux modes actuelles des explications interminables, de refuser toute sorte de mystère forçant le spectateur à s’impliquer pour combler les trous et donc de nourrir de son imaginaire celui du film. Ici, tout lui est expliqué au point de faire de son intrigue un prétexte pour expliquer ce que l’on acceptait dans l'original, et ce sans sourciller: pourquoi et comment les yeux de Batou on été modifiés ? Vous le saurez grâce à ce film. Sauf qu’il y a un hic: est-ce qu’il est nécessaire pour le spectateur de le savoir ? Certainement pas. On savait qu’il s’agissait d’un cyborg, donc que des modifications physiques ont pu être effectuées et cela suffisait amplement, l’intérêt du film ne se jouant évidemment pas là… Et à partir de ce moment là, en faisant constamment mine de focaliser l’intérêt là ou il n’y en a pas, les scénaristes de la chose ont complètement flingué l’intelligence de l’oeuvre d’origine pour en faire un produit de studio comme on en voit des tonnes par an. Bref: il s’agit de ces films qui se persuadent que donner plein d’information créer de la complexité dans le récit, là ou la complexité de l’oeuvre d’origine venait de son apparente simplicité scénaristique.
Idem de la manière dont nous est présenté l’antagoniste, incarné par Michael Pitt. En refusant de garder l’idée d’une intelligence artificielle, une très grande partie du propos s’envole, au profit d’une vision simplifiée des questionnement sur le principe d’humanité qui collait à celle-ci.

Il est impossible de complètement jeter la pierre à Rupert Sanders, réalisateur de Blanche-Neige et le Chasseur et s’imposant comme un technicien plutôt doué. De vrais beaux plans sont présents pendant le film, et il y a même une scène dans une boite de nuit a sauver entièrement, tant celle-ci réussi a créer une tension grâce à des choix de cadres et un découpage au petit oignons. Mais avec un scénario aussi simpliste, aussi aseptisé et disons le: aussi con, il lui était très compliqué de vraiment réussir son film. Le rythme du film en pâti considérablement, et il est impossible de ne pas s’ennuyer fermement, d’autant plus que malgré le fait que Sanders soit capable de maitriser son film techniquement, il est plus compliqué de lui trouver une vraie personnalité.

Verdict: il est triste de voir une oeuvre aussi fondamentale que Ghost In The Shell se faire dénaturer à son tour par les studios. Avec un scénario aussi stupide et traitre que celui de Terminator Genisys et une mise en scène beaucoup trop anonyme pour que l’on puisse y trouver un intérêt, on a qu’une seule envie: revoir en boucle le premier film de Oshii ainsi que sa suite, Innocence. On va dire que c’est le seul vrai bon point que réussi ce film: nous faire revoir quelque chose de bien une fois rentré chez nous. Mais au bout d’un moment, on commence à être habitué à cette sensation, et cela commence à vraiment être gonflant.

Claude S

Note du rédacteur: 1,5/5 (Mauvais)

mercredi 29 mars 2017

The Warriors Gate, de Matthias Hoene

Pour la deuxième semaine consécutive, je me retrouve dans l’incapacité de parler d’une oeuvre que j’ai vraiment envie d’évoquer. Car hélas, je n’ai pas pu aller voir la transposition live de La Belle et la Bête de Disney par Bill Condon, et ayant déjà évoqué Brimstone, l’incroyable western horrifique du brillantissime réalisateur hollandais Martin Koolhoven, il m’a fallu me rabattre sur une sortie plus confidentielle. C’est pour cette unique raison que je me suis retrouvé dans la salle de cette bouse faite film qu’est The Warriors Gate (Warrior's Gate dans la langue de Shakespeare, donc preuve ultime que les traducteurs de titres se foutent ouvertement de notre gueule), nanar estampillé Europacorp, tentant vainement de faire kiffer les marmots en leur proposant un récit qui est censé être de leur âge, tout en jouant avec la fibre nostalgique des adultes ayant grandis dans les années 1990.

Racontant comment un ado fan de jeu vidéo se retrouve forcé de protéger une princesse chinoise dans un univers parallèle après avoir été confondu avec son avatar dans le jeu, The Warriors Gate est un pur foutage de gueule. Après une première séquence nous introduisant dans l’univers du jeu de manière plutôt habile, il faut bien finir par se rendre à l’évidence: on est face à une production Europacorp dans ce qu’elle a de plus racoleuse, de plus lourdingue, de plus beauf, et tout simplement de plus con. Dès la deuxième scène du film, on peut se rendre compte que l’on est face à une production sans ambition artistique. La présentation de Jack, adolescent servant de personnage principal au film, et de sa mère est en soit assez symptomatique d’ou vient l’un des problèmes majeur du film. Il s’agit d’un simple dialogue filmé dans un champs-contrechamps des plus classique, permettant aux acteurs de dire explicitement, sans finesse, là ou en sont les personnages dans leurs vies au moment ou le film commence. On apprend donc que la mère est divorcée, qu’elle a des problèmes d’argent et va devoir vendre leur maison, et que Jack est un lycéen très gentil qui est victime de maltraitance par une bande d’autres lycéens. Pire, dès la troisième scène du film, on se rend compte que l’on est face à une fiction qui ne saura plus vraiment quoi raconter, et sombrera dans le racolage le plus total. Le problème de la deuxième scène, c’est que celle-ci, en donnant directement toutes les informations au spectateur, empêche les séquences suivantes de raconter son histoire. Cette fameuse troisième scène, c’est tout simplement l’illustration de ce que l’on a appris dans la seconde: Jack se fait maltraiter par d’autre lycéens. Donc qu’est-ce que l’on peut bien faire pour maintenir l’intérêt du spectateur alors que ce qu’on a à lui montrer est tout simplement l’illustration de ce qui lui a été expliqué dans la séquence précédente ? Papy Besson à la solution qu’il applique depuis des années: mettre des cascades pour tenter de faire avaler la pilule au spectateur. « Ils n’y verront que du feu » a-t-il du se dire lors de l’écriture avec son comparse Robert Mark Kamen (avec qui il avait déjà écrit ces chefs-d’oeuvre de connerie que sont Le Cinquième Élément, Le Baiser Mortel du Dragon, ou encore les trilogies du Transporteur et Taken). Et c’est donc parti pour une poursuite en vélo de 5 minutes, blindé de cascades aussi surréalistes que foncièrement inutiles pour l’intrigue, si on considère qu’il y en a vraiment une, bien entendu.

Ce schéma narratif particulièrement contre-productif est bien évidemment celui appliqué sur l’entièreté du métrage, et il est d’autant plus surprenant de voir que Besson et Kamen décident de retarder le plus possible le lancement de leur histoire, à savoir l’arrivée de Jack dans un monde qu’il ne connait pas. On doit donc se taper d’abord une sortie au centre commercial entre Jack et la princesse, avec des scènes de drague digne des pires téléfilms M6 passant un dimanche après midi pluvieux, ou celle-ci va finalement découvrir le Hip-Hop et les glaces (ce qui permet d’amener l’un des génériques de fin les plus hallucinants qu’il m’ai été donné de voir). Probablement trop couteux à la production de raconter la majorité du film dans ce monde parallèle, il est dommage de voir que toute cette partie, censée justifier le fait que ce couillon de Jack décide d’aller de lui même dans cet univers, tombe finalement complètement à l’eau tant celle-ci est forcée. Il est d’autant plus dommage de voir que la suite n’a pas beaucoup plus d’intérêt: l’histoire classique du personnage projeté dans un univers qu’il ne connait pas pourrait permettre de raconter beaucoup plus que cette simple variante sur le thème du fermier devenant chevalier pour sauver sa princesse. Ici, on se limite du minimum, en développant à peine la relation entre Jack et son acolyte et foutant des blagues à la place d’un vrai travail de psychologie des personnages. C’est donc avec consternation que l’on assiste à la découverte des lunettes de soleil et du breakdance par un chevalier chinois. Idem de la caractérisation du méchant: au lieu de tenter de lui donner une profondeur psychologique en jouant de ses contradictions (celui-ci kidnappe la princesse pour la forcer à l’aimer), on se limite au simple fait que: il est méchant. Donc on lui place un homme de main rigolo parce qu’il pense qu’il doit tuer dès que le méchant parle à quelqu’un. Parce qu’il est méchant, vous avez saisi ?
Et ce n’est clairement pas Matthias Hoene, réalisateur de la chose, qui pourra rattraper quoi que ce soit. Celui-ci a clairement été embauché comme un simple technicien, et il ne faut pas essayer d’y chercher une quelconque tentative artistique dans la démarche de réalisation du métrage. La réalisation ressemble donc à n’importe quelle production Europacorp, sans véritable personnalité. 

Bref: The Warriors Gate, c’est pas bon, et cela mérite complètement sa sortie confidentielle. Il s’agit d’un produit complètement formaté dans le moule des autres productions Europacorp, et il est difficile d’être surpris de voir un produit de cet acabit, tant la boite de Luc Besson nous a habitué à nous sortir fréquemment des oeuvre de piètre qualité. Il est juste triste de se dire qu’il y a deux semaines sortait Miss Sloane, autre production Europacorp qui elle, à défaut d’être une totale réussite, avait au moins le mérite de nous offrir une oeuvre d’une ambition clairement plus élevée que celle qu’il m’ai été donné de voir cette semaine…




Claude S.


Note du rédacteur: 1/5 (Navet)

lundi 27 mars 2017

The Lost City of Z, de James Gray

Percy Fawcett, colonel anglais ne parvenant à s'extirper de la (mauvaise) réputation paternelle, est chargé par la Société royale de géographie de cartographier la frontière Bolivienne au beau milieu de l'Amazonie. Découvrant ce qu'il pense être les traces d'une civilisation ancienne, il commencera alors la quête d'une vie à la recherche d'une cité perdue dont on ignore l'existence...

Annonçons le tout de suite:  The Lost City of Z n’est pas un film d’aventure. Il n’y a pas de scènes épiques, il n’y a pas de preuves de la violence de la jungle, on y tremble pas pour le personnage principal. TLoZ est un drame, comme tous les films de James Gray. S’il sera particulièrement difficile pour les cinéphiles d’enlever de leur esprit les incroyables films d’Herzog (Aguirre, Fitzcarraldo), Coppola (Apocalypse Now) ou encore de l’exceptionnel Friedkin et de son Sorcerer, il sera difficile de nier que Gray parvient à y insuffler son style et à s’en différencier.

L’un des auteur américains les plus précieux de ces dernières années, James Gray, quitte donc l’univers urbain et New-Yorkais de Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient, Two Lovers et The Immigrant pour l’Angleterre bourgeoise, l’Amazonie et même les champs de batailles français du début du XXème siècle.
C’est peu dire que Gray sera sorti de son confort pour ce film: outre les lieux et l’époques, c’est aussi la première fois que Gray s’attaque à des faits réels, tirés de la biographie de l’explorateur Percy Fawcett, et à un récit se déroulant sur plusieurs décennies. Le tout sur fond de tournage dans des conditions extrêmement difficiles. Et c’est là que le film pourra vous dérouter: si les récits du tournage sont épiques, le film lui évite totalement l’aventure. Tout du moins l’aventure « classique » de ce type de récit. Ici, pas d’affrontement avec des singes criant et se balançant de liane en liane. Pas de bateau dérivant par la force de la rivière. Pas de tribus mangeuse d’hommes et de tortues. Les rares scènes d’actions sont présentes dans la bande-annonce. Et ne sont pas plus longues dans le film. Non, ici, Gray nous offre un voyage dans la psyché de son personnage et de son désir de s’affirmer comme individu, pour sortir d’une société cherchant constamment à l’enfermer dans une case, par ses faits d’armes (héros de guerre) ou par les actions du père (un voyou ayant amené la disgrâce sur son nom.). Cette histoire d’un homme tentant de s’arracher à sa « famille », pour être reconnu par ses contemporains, cherchant à quitter le monde ordinaire pour quelque chose de plus « grand » et pouvoir s’affirmer comme un être à part entière, cette histoire est au centre de chaque film de l’auteur. Et probablement la volonté même de James Gray en tant que cinéaste: parvenir à quitter ses influences pour trouver son propre nirvana. Ce n’est pas pour rien que ce film semblerait être celui d’un auteur , jouant avec les codes de ses « maîtres » mieux les (s’en) détourner, et atteindre dans sa dernière scène une poésie visuelle très osée pour le metteur-en-scène, et embrasser ses influences pour imposer son propre style.

Le récit aborde des thématiques passionnantes, en parvenant à éviter un manichéisme mal venu. Par exemple, les sauvages ne sont ni bons, ni mauvais. Certaines tribus sont pacifistes, appliquant des techniques d’agricultures même inconnus par le monde « civilisé », d’autres n’hésiteront pas à croquer de l’homme blanc, mais non pas par sauvagerie, simplement par croyance. On y aborde aussi la question du progressisme: dans cette société anglaise hostile à tout changement pouvant indiquer que la nation de la reine n’est pas l’évolution ultime de l’homme, Fawcett défend la théorie que les « sauvages » sont l’égal de l’homme dit civilisé. Pourtant, Fawcett n’hésite pas à dire clairement à sa femme que son sexe l’empêche de faire partie de l’aventure avec lui et que sa place est à la maison avec les enfants.  De même, l’obsession de Fawcett part d’un sentiment égoïste pour devenir quelque chose de beaucoup plus transcendentale, loin de la figure de l’aventurier cherchant la fortune et devenant fou à cause de « l’or perdu de la tribu des culottes en feuille de palmier » qu’on peut retrouver dans ce type de récits.

Bien évidemment, porter une écriture aussi dense et subtil n’est pas chose aisée, et s’en retrouve ici facilité par un casting talentueux: la beaucoup trop sous-exploitée Sienna Miller, à la sensibilité rare et touchante, Charlie Hunnam nous livrant une partition authentique et attachante d’une personnage pourtant complexe et égocentrique, Robert Pattinson, qu’on aura du mal à reconnaître, dans la retenue la plus totale et qui prouve que malgré tout, Twilight nous aura offert des acteurs qui comptent entre 2 loup-garous torse-poil. Et il en fallait des acteurs de cette stature pour donner vie à une histoire aussi dense, quête impossible d’une cité dont on ne saura jamais si elle était réel, à part pour Percy Fawcett. Cette quête épique s’achevant sur un troisième acte déchirant, dans une scène père-fils face à une tribu absolument hallucinante de beauté et de profondeur.

Servi par une photographie au style particulier (comme si on avait stabiloté la pellicule pendant toute une partie du film) mais au combien cohérente avec la mise-en-scène, Gray se sert de la forme du film classique (il cite notamment « Le Guépard » de Visconti comme référence principale) pour mieux le dynamiter de l’intérieur, se permettant des effets de découpage mettant en avant une profondeur supplémentaire à la psyché de son personnage. Par exemple ses statues, censée prouver l’existence de la cité de Z, qui par un jeu de découpage simple (Personnage seul, champ-contrechamp avec la statue, action empêchant le héros d’avancer et devant reculer), donne au film un ton fantastique sans jamais l’appuyer.
Gray joue avec la durée et le temps du récit pour nous faire entrer en osmose totale avec son personnage, et son « obsession » pour sa recherche d’une vérité supérieure dans la jungle amazonienne qui pourrait lui permettre d’échapper à une civilisation occidentale cherchant à réduire et écraser les individus la composant.
On pourra cependant lui reprocher un récit tardant à se mettre en place, et une structure inattendue qui pourra en étonner, voir en décourager, plus d’un.

The Lost City of Z est une aventure intime. Si vous vous attendez à y trouver de l’action palpitante, vous risquez de tomber de haut. Comme si vous pensiez trouver du Brad Pitt de Troie dans l’Iliade d’Homère. James Gray nous offre une sublime parabole sur un homme cherchant à trouver la vérité, le sens ultime de sa vie, parvenant à atteindre la transcendance, celle que tout un chacun voudrait atteindre sans nécessairement s’en rendre compte. Film mémorable, se métamorphosant et se découvrant à chaque fois que vous y réfléchirez, il signe là son film le plus personnel, et une des plus belles réflexions sur notre monde actuel et ses travers, voir sur l’humanité, conférant au film un aspect intemporel et universel. Et dire que l’on est excité par l’idée de voir l’auteur se confronté au genre de la science-fiction dans son prochain film serait un euphémisme.

4,5/5 (Excellent)

Antoine T

Grave, de Julia Ducournau

C’était le genre de film que je m’apprêtais à aller voir sans coup férir. M’abandonnant totalement à ce qu’il avait à me raconter, fort de sa réputation acerbe et de son statut transitoire pour le genre français. Claude, parmi les plus radicaux détracteurs de Grave que je connaisse, m’avait pourtant prévenu : « Le film est, au mieux, anecdotique ». Tâchons de faire fi de tout jugement, pensais-je, et allons-y sans s’y opposer d’emblée, mais également sans s’en réjouir. 



Je garde néanmoins dans un coin de ma tête que le film a reçu le Prix Fipresci de la critique internationale à Cannes; le grand prix et le prix du public au Festival européen du film fantastique de Strasbourg; le prix du meilleur premier film au festival du film de Londres; le grand prix du festival international du film de Flandre-Gand; le grand prix et le prix ciné+ frisson au PIFFF, ainsi que le grand prix et le prix de la critique à Gérardmer. Rien que ça.



Justine, jeune dernière d’une famille de végétariens, intègre à 16 ans une école vétérinaire où elle rejoint sa sœur aînée. Lors d’un bizutage, elle se force à manger un rein de lapin cru. Si le dégoût est clairement son premier ressenti, il laissera rapidement place à une fascination qui l’emmènera vers d’autres sentiers que la viande de léporidés.

C’est alors que les distributeurs ont commis une erreur à la fois grossière et compréhensible. Il faut vendre le film à tout prix. Plutôt que de laisser place à la surprise et au choc qui auraient découlé de la révélation de la nature de Justine, les distributeurs nous la donnent dès le trailer pourtant particulièrement bien pensé. Et plus encore, puisqu’il est difficile d’aller voir le film sans être au courant du postulat, quand bien même nous prêtons une attention particulière à ne pas suivre sa promotion, et ne rien en lire, etc… Inutile de vous dire que le plaisir se voit amoindri lorsqu’on sait par avance ce que l’on va aller voir. Également, ils appuient leur promotion sur la violence outrancière du film, se servant de quelques évanouissements à Toronto et de sacs à vomi disposés dans les salles angelines. Une communication d’autant plus frustrante que, récemment, des films comme Green Inferno ou Bone Tomahawk se sont montrés bien plus violents et cruels. Parallèle intéressant étant donné que la thématique brute des trois films est similaire.

Si la photo de Ruben Impens (Alabama Monroe, Black Mirror) est singulièrement réussie et cohérente avec le propos et l’ambiance globale du film, Grave souffre parfois d’un trop-plein de bonne volonté, de plans à visées esthétisantes voire franchement poseurs, comme ce plan-séquence situant Justine dans une soirée d’intégration organisée par les étudiants les plus âgés de l’école pour les nouveaux venus. Aujourd’hui, il paraît impossible de filmer une soirée autrement, le personnage déambulant plus ou moins adroitement au milieu de corps qui dansent, suivi par une caméra à l’épaule la suivant comme son ombre. La définition même de l’expression « se regarder filmer ». Le plan n’a en effet pas de raison-d’être narrative autre que la virtuosité d’une telle mise en place, qui aurait cependant gagné à être coupé pour appuyer la perte de Justine dans cet environnement nouveau et à l’apparence hostile. C’est sans doute ce qu’aurait proposé Alfonso Cuaron, qui, dans sa maîtrise inégalée du plan-séquence, sait utiliser une mise en scène plus traditionnelle et moins tape-à-l’oeil lorsque le propos s’y prête. 



Des plans poseurs comme celui-ci fourmillent dans Grave, laissant parfois au spectateur l’impression de regarder un enchaînement de cadres sans réelle articulation et sans autre sens que la symbolique marchant sur le réalisme. Comme des tableaux, en somme. Un autre plan typique est sans conteste celui, à nouveau dans une soirée, qui met en scène Justine, assise sur une table, les jambes écartées, la main sur l’entrejambe et s’humectant les lèvres. Vous comprenez la symbolique ? Elle a faim. Ou encore ce plan du cheval courant sur un tapis, rappelant le travail d’Eadweard Muybridge sans qu’on ne comprenne bien pourquoi il s’insère dans le montage final, si ce n’est pour sa qualité esthétique (ces deux derniers plans sont visibles dans le trailer, pour les plus intéressés). Ou celui qui emprunte, peut-être inconsciemment, à Eros Necropsique, groupe qui propose des prestations scéniques avec un homme recouvert de peinture bleue et une femme recouverte de jaune, qui finissaient tous deux en vert. Ou quand le fait de s’approprier des univers dépasse le cadre de la citation pour entrer dans celui du plagiat.

Il me faudra également revenir sur un problème purement scénaristique, qui m'oblige au spoiler, et qui m’aura empêché de rentrer tout à fait dans le film. En effet, celui-ci propose un retournement de situation à mi-parcours mêlant la sœur de la protagoniste à une banalisation du cannibalisme. Il devient alors moins tabou, moins prégnant, moins profane. La réaction de sa sœur lors d’une des scènes clefs du film (spoiler : lorsque Justine coupe le doigt de sa sœur par mégarde et qu’elle finit par le dévorer alors que sa sœur a perdu connaissance. Elle se réveillera et prendra Justine sur le fait. Alors qu’on s’attend forcément à quelque chose de génial découlant de cette scène, la sœur finira par rassurer Justine, en lui-disant qu’elle comprend, qu’elle aussi est cannibale, que ce n’est pas si grave... Bien sûr que si, c'est grave ! Même pour un cannibale, bon sang !) ne fera qu’appuyer le fait que le film n’ose pas réellement s’immiscer dans une gravité de ton totale, distordant la réalité pour nous faire pénétrer un monde surréaliste où les tabous ne semblent pas tout à fait être les mêmes que chez nous. Également, le fait de poser la cannibalisme comme une maladie héréditaire et génétique est absolument aberrant, et donne à voir la péloche non pas comme un sous-genre du film de cannibale qui prend son sujet avec conviction, mais plutôt comme un film de genre qui utilise ce prétexte pour parler plus librement de ce que c’est de devenir une femme. Une orientation d’autant plus dommage que le film se clôture en plus avec une petite pirouette malvenue, pour le coup outrancière, poussant la blague et l’explication de texte vers l’absurde. Pourtant, nul doute que l'écriture du film n'a pas été prise par-dessus la jambe, en témoigne le grand soin apporté aux dialogues, et à la prise de tête qui aura permis de ne faire prononcer le mot "grave" qu'une seule fois sur le 98 minutes que dure le film. Lorsqu'un personnage demandera à Justine si elle cache quelque chose d'important, si celle-ci a un problème particulier, elle finira par concéder : "C'est grave". Détail amusant.

En résulte mon avis sur Grave. Je ne m’y oppose pas et je ne m’en réjouis pas. C’est un premier film certes honnête mais loin d’être dénué de défauts et, surtout, loin de valoir ce buzz ahurissant et quasi-unanime.




Jérémie N.

Note du rédacteur : 3/5 (Honnête)

mardi 21 mars 2017

Miss Sloane, de John Madden

Et non: cette semaine, impossible pour moi d’évoquer la sortie du dernier film de James Gray, The Lost City of Z. Et ayant déjà évoqué Grave, film évènement de Julia Ducournau et seul autre film de genre sortant cette semaine, je n’ai pas vraiment eu d’autre choix que de me tourner vers une sortie antérieure. C’est pour cette seule et unique raison que j’ai choisi d’évoquer la sortie de Miss Sloane, thriller réalisé par John Madden avec la constamment brillante Jessica Chastain dans le rôle principal. Et même si ce film n’avait pas fait parti des priorités parmi les films à évoquer, il faut bien reconnaitre qu’il s’agit là d’un film plus intéressant qu’il n’en à l’air au premier abord.

Miss Sloane raconte l’histoire d’une lobbyiste se faisant proposer de travailler sur l’opposition d’un projet de loi ayant pour but de limiter l’accès de la vente d’armes à feu aux État-Unis en s’intéressant au passé psychologique du potentiel acheteur. Celle-ci refuse, démissionne de son poste à Washington D.C. et rejoins un autre cabinet dans le but de s’opposer à son ancien partenaire, celui-ci ayant accepté le travail à sa place. Commençant comme un véritable thriller politique, Miss Sloane est une oeuvre imparfaite sur bien des aspects. Jouant plus sur une observation des personnages que sur une quelconque identification du spectateur, il est particulièrement compliqué pour celui-ci de s’intéresser pleinement à l’histoire qui se met en place, tant il est lâché dans cette jungle qu’est le monde des lobbys. Quiconque ne s’y intéresse pas plus que ça (ce qui est bien évidemment mon cas) risque de peiner pour réussir a rentrer dans l’histoire lors des 20 premières minutes du film. D’un manichéisme surprenant au premier abord, s’appuyant sur des dialogues explicatifs et démonstratifs au possible permettant d’appuyer en apparence un positionnement par rapport aux armes à feu aux États-Unis, il est dur de ne pas être tout simplement complètement extérieur au film. Par ailleurs, la mise en scène de John Madden n’aide pas pour faire rentrer le spectateur dans son film. Car même si très maitrisée, celle-ci s’avère être avant tout extrêmement référentielle: ouvertement inspirée des dernières oeuvres de David Fincher, le spectateur se remémore fréquemment des passages de la magnifique série House of Cards, le travail sur la lumière la rappelant grandement, ou encore de l’incroyable The Social Network, tant l’on pourrait soupçonner que Jonathan Perera (le scénariste de Miss Sloane) s’en soit inspiré, lui empruntant une partie de sa structure narrative. Mais n’est pas David Fincher qui veut et même si dans ses meilleurs instants, le travail de déshumanisation de ce qui se trouve derrière la caméra (travail constituant la plus grande importance dans l’oeuvre récente de Fincher) se fait vraiment ressentir et fonctionne plutôt bien, il faut bien admettre que l’idée d’assister à une copie donne l’impression d’un manque de consistance et le sentiment d’un travail visuel finalement vain.

Mais contre toute attente, et tant mieux pour nous au passage, le film prend une légère tournure scénaristique qui n’est pas à jeter du tout. En effet, si la dimension politique du film s’avère être particulièrement grossière, celle-ci s’avère finalement n’être qu’une toile de fond et ne constitue pas l’intérêt majeur du film. Car au lieu de ne s’avérer être qu’un thriller politique, Jonathan Perera et John Madden ont choisi de faire du film un véritable portrait de femme sur fond d’intrigue politique. Ainsi, le spectateur en vient à vraiment s’intéresser à ce personnage énigmatique de femme torturée intérieurement, prête à tout pour réussir, à manipuler ses alliés comme ses ennemis, à ne plus être dans la légalité pour pouvoir affaiblir ceux qui veulent l’empêcher de réussir. Et le travail d’actrice de Jessica Chastain, formidable de bout en bout, doublé d’un travail de scénario jouant sur le mystère par rapport à son protagoniste au point de nous faire adopter le point de vue des antagonistes parvient à rendre le film intéressant, à défaut d’être réellement captivant. Et finalement, même si la réalisation de Madden est impersonnelle au possible, celle-ci s’avère être suffisamment appliquée pour que l’on en vienne à regarder le film sans véritable ennui. Par ailleurs, si j’ai déjà souligné le remarquable jeu d’actrice de Jessica Chastain, il serait de mauvaise foi de ne pas souligner le travail d’acteur de l’ensemble du casting, tant chacun parait malgré tout habité par le personnage qu’il joue, notamment Michael Stuhlbarg, formidable Larry Gopnik du Serious Man des frères Coen. 

Pour un film qui s’avérait être secondaire dans mes priorités, j’aurais pu tomber plus mal. Pas indispensable, mais pas désagréable non plus, Miss Sloane est une oeuvre particulièrement inégale. Par moment réussie, par moment carrément énervant, le film de John Madden s’impose comme un petit ersatz du House of Cards version Fincher, mais sans la maestria du réal de Gone Girl pour réussir à lui donner une ampleur dépassant le stade de l’illustration visuelle d’un scénario référencé. 



Claude S.


Note du rédacteur: 2,5/5 (Moyen)

mercredi 15 mars 2017

Traque à Boston, de Peter Berg


Quand on connait la patte de Peter Berg ainsi que son patriotisme exacerbé et exacerbant, on ne pouvait que craindre un projet comme Traque à Boston (Patriot’s Day en VO), film mettant en scène l’attentat du marathon de Boston puis la chasse des deux terroristes alors qu’ils s’apprêtent à poursuivre leur carnage à New York. Reçu avec une standing ovation lors de sa première projection à l’American Film Institute Fest, le film caresse bel et bien les américains dans le sens du poil en plaçant à ma droite les minorités et tout ce qui n’est pas américano-centré parmi la fange la plus dangereuse, et à ma gauche le bon peuple américain humaniste et valeureux qui se pose en martyr de la liberté. C’est ainsi que sera filmée l’innocence bientôt maculée de sang, avec comme symbole représentatif de l’entièreté ce couple de jeunes parents qui se rendent au marathon, la mère de famille étant une infirmière dévote qui voue sa vie à la protection et au soin d’autrui, à l’amour du prochain, et qui sera prise avec son petit ménage dans l’atrocité de l’explosion. Ou quand les enfers se déchaînent sur les saints les plus purs. Par effet de miroir, nous trouverons nos deux terroristes, deux jeunes adultes, aliénés et crétinisés, l’un d’eux n’ayant rien de plus intelligent que de demander à un otage, durant leur cavale, si la voiture qu’ils sont en train de voler est équipée du bluetooth pour mettre de la musique. Ou encore, alors qu’ils veulent passer inaperçus, de suggérer de voler une Lamborghini plutôt qu’une voiture lambda, parce que c’est cool. Peter Berg voulait leur donner un côté enfantin, il leur donne un côté crétin. C’est les Daltons, j’vous jure.

Le film se pose sur une narration et des automatismes de mise en scène qui empruntent à la docu-fiction en faisant jouer le tape à l’œil, notamment dans les minutes qui suivent l’explosion, comme un aveu d’impuissance. Comme si le film ne pouvait donner à comprendre et intellectualiser le chaos et le carnage qu’en montrant des corps mutilés ou en s’apitoyant sur le sort d’un enfant de 8 ans plus que de raison.
Et tout ça battu en neige avec des personnages préparés comme de la chair à pâté, notamment le couple dont je parlais plus haut, qui n’existe que pour faire comprendre qu’un attentat détruit des familles et des vies avec aveuglement et en une fraction de seconde. Merci Peter Berg, on avait besoin de ce film pour s’en rendre compte et ouvrir les yeux. Ce couple, donc, n’apparaîtra à l’écran que pour donner au spectateur une raison plus concrète et organique de compatir avec les victimes, et ne sera suivi que quelques minutes au début du film, et quelques minutes à la fin. Ce genre de personnage-fonction absolument agaçant dans la plupart des cas. C’est le cas d’ailleurs pour J.K. Simmons, le personnage n’étant présent tout au long du film que pour tirer à un moment précis dans la jambe d’un des deux terroristes. Point barre.

L’enquête en elle-même réside en un véritable écran de fumée, puisque pataude au possible, gérée par un FBI dont Berg veut souligner le professionnalisme mais qui apparaît, si on creuse un peu, complètement à côté de la plaque, et qui ne devra son salut qu’à deux Deus Ex Machina : Mark Wahlberg d’abord, qui connaît par cœur l’emplacement des caméras de surveillance de tous les rades de Boston, et un otage chinois enlevé dans son véhicule ensuite, dont les terroristes singeront l’accent, et dont les fédéraux diront : « Un homme a été enlevé, j’ai pas bien compris son nom ». C’est vrai que c’est drôle de se foutre des chinois. Le FBI, aussi professionnel soit-il, n’aura, si on fait le compte, quasiment rien eu à branler. Kevin Bacon style : On fronce des sourcils et le destin s’éclaircit de lui-même.

Puisqu’on parlait des petites blagues à propos des chinois, trollés aussi bien par les terroristes et que par les opposants ricains, on notera une volonté d’adoucir la gravité du récit en parsemant le film de quelques petites touches d’humour souvent malvenues, qui donneraient parfois un côté burlesque à un film à l’orientation réaliste. Lors d’une fusillade dans une rue entre les terroristes et la police locale, la flicaille se fait arroser à coups de bombes et de rafales de mitrailleuses. C’est alors qu’un riverain sort de chez lui en interpellant l’un des officiers qui lutte pour pas se manger une balle dans la tronche. Il lui dit : « Que se passe-t-il, officer ? ». La réponse, à peu près évidente : « On nous tire dessus ». Déjà, en soit, cet échange de phrases est débile. Mais c’était sans compter sur le riverain qui se pointe à nouveau avec une massette, disant : « Tenez, j’ai une massette, corrigez-les comme il faut ! ». Vous comprenez, c’est drôle, parce qu’en face ils balancent des bombes et tirent à la mitraillette. Ta Tum tssss.

Quant à la résolution du tout, vous vous en doutez, on aura droit aux petits cartons pour rendre hommage aux victimes, à la police, et à toute l’équipe, ainsi qu’à un défilé d’images d’archives des vrais héros représentés dans le film, comme le personnage de Mark Wahlberg (le sergent expert en caméras de surveillance), Kevin Bacon (l’agent spécial du FBI en charge de l’enquête, qui était surtout là pour boire du café et poser des questions après un interrogatoire du genre : « Alors, qu’est-ce qu’elle a dit ? »), ou encore Michael Beach (le gouverneur du Massachusetts). God Bless America.

Cependant, on peut reconnaître au film un excellent travail de reconstitution des plans clefs filmés par la CNN et la Fox. Également, que malgré la somme astronomique de défauts, le film se suit sans trop de longueurs, alors qu’il atteint les 2h10. Et ça, c’était pas gagné. M'enfin, aussitôt vu, aussitôt oublié.
                                       


                                         



Jérémie N.


Note du rédacteur : 2/5 (Faible)

mardi 14 mars 2017

Kong: Skull Island, de Jordan Vogt-Roberts


La sortie évènement de la semaine est bien évidemment le retour sur grand écran de la créature la plus célèbre de l’histoire du cinéma américain : King Kong. Après l’incroyable remake signé Peter Jackson en 2005, la voici donc de nouveau dans les salles obscures, mais cette fois-ci face à la caméra de Jordan Vogt-Roberts, obscur metteur en scène n’ayant à son actif que la signature de quelques épisodes des séries Death Valley et You’re The Worst, et une comédie intitulée The Kings of Summer. Est-ce une mauvaise nouvelle ? Pas forcément, la seule surprise que nous procure Kong: Skull Island étant de toute évidence la découverte d’un cinéaste doué, mais échoué sur une production qui a surtout l’air de chercher où elle doit se situer par rapport aux autres blockbusters actuels.

Kong: Skull Island prend place lors des années 1970. Un groupe de l’armée américaine s’apprêtant à rentrer du Vietnam se retrouve à escorter un groupe scientifique se rendant sur une île jusqu’à maintenant inexplorée. Se joignent à eux un aventurier (Tom Hiddleston), et une photographe (Brie Larson). Mais ce qu’ils ignorent, c’est qu’en plus des tribus indigènes peuplant cette île, se trouvent des créatures jusqu’à maintenant jamais découvertes… Lors du visionnage du film, une question se pose assez rapidement : où se situe donc cette nouvelle histoire du gorille géant ? Alors non, contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’une suite. Il ne s’agit pas d’un reboot non plus. Il s’agit d’une œuvre hybride, jamais vraiment sûre de ce qu’elle doit être, ayant constamment la volonté de répondre aux attentes d’un spectateur moderne éduqué à la Marvellisation des blockbusters et préparant le terrain pour le crossover Godzilla VS Kong
Fini donc la relecture de La Belle et la Bête, place ici à une histoire des plus basiques, où chaque évènement scénaristique semble n’avoir que pour but d’amener une nouvelle confrontation entre les personnages et les créatures de l’île. À l’exception du personnage de John C. Reilly, chaque personnage a une caractérisation des plus simplistes, et l’on en vient même à se demander l’intérêt des deux personnages principaux tellement ceux-ci paraissent absents du récit. Il est finalement assez triste de se rendre compte que jusqu’au bout, le spectateur est obligé de se taper un récit sans enjeux, dont l’avancée se fait sans qu’il n’y ait le moindre attachement envers eux, et donc la moindre émotion. Il est d’autant plus hallucinant de voir que la seule péripétie amenant un début d’enjeux se termine lors d’une scène non seulement ridicule, mais surtout mettant fin à une partie du récit que les scénaristes ont quand même décidé de laisser courir pendant plus de 20 minutes ! Il n’y a ici aucune envie de créer un récit digne de ce nom, juste de nous donner l’illusion que le film a quelque chose à raconter.

Mais là ou Kong: Skull Island réussi à un peu surprendre, c’est dans sa mise en scène, d’une générosité qu’il serait très hypocrite de renier. On ressent constamment la volonté du cinéaste de faire un spectacle total, en faisant durer le plus longtemps possible les confrontations qu’il filme, mettant le plus possible en valeur ses effets spéciaux, et surtout en faisant ressentir le plus possible la bestialité de ses créatures. Chaque choix de cadre est en soit assez intelligent, très souvent efficace, et finalement plutôt agréable à regarder, distillant même par instant de vraies petites trouvailles visuelles comme ce plan où une libellule se confond dans notre champs de vision avec les hélicoptères des militaires. C’est pour cela qu’il est d’autant plus dommage de voir que le rythme du film n’est pas à la hauteur, la faute à ce scénario qui en vient à plomber vraiment toute forme de rythme que Jordan Vogt-Roberts essaie d’insuffler à son film…

Bref, Kong: Skull Island, c’est raté. Sans être une catastrophe, le film de Jordan Vogt-Roberts n’est que la nouvelle preuve que dans l’ensemble, le blockbuster n’a malheureusement plus que pour vocation de se reposer sur une imagerie, et plus d’essayer de nous raconter réellement une histoire. On pourra toujours se réconforter en se disant qu’il y a par moment quelques instants jouissifs, mais cela reste plus blasant qu’autre chose… 



Claude S.

Note du rédacteur: 2/5 (Faible)

lundi 13 mars 2017

À ceux qui nous ont offensés, d'Adam Smith

Premier long-métrage d’Adam Smith, À ceux qui nous ont offensés nous offre de voir, revoir ou découvrir les excellents (pas forcément dans ce film donc suivez les parenthèses pour les voir être bons) Michael Fassbender (Fish Tank, Steve Jobs, Macbeth, A Dangerous Method), Brendan Gleason (28 jours plus tard, Bons baisers de Bruges, Calvary, Au coeur de l'océan), et Sean Harris (The Red Riding Trilogy, 71', Harry Brown).
Présenté comme un véritable électrochoc , traitant de faits de société via le film de genre, À ceux qui nous ont offensés (que j’appellerai le film  parce que le titre est super chiant à écrire et qu’ils veulent se la jouer Tu ne tueras point ça me soûle) est-il ce fabuleux brûlot politico-actiono-fassbendo-necessario-brexito qu’on nous vend? Bah non.

La famille Cutler est une famille de voyous, pillant et braconnant pour survivre, tout en s’amusant allègrement de ne jamais se faire attraper. Chad, lassé de cette vie et inquiet de l’effet qu’elle peut avoir sur sa propre famille, doit faire face à un choix : continuer en se soumettant à son père ou libérer sa famille de son joug et trouver une autre voie. La police risque bien vite de l’aider à faire son choix… (TATA TAAAAAAA).

Adam Smith est aussi l’économiste que mes confrères de la section ES connaissent particulièrement bien, parce qu’il a dit des trucs de fous et il voulait aider les pauvres. Alors le fait que le réalisateur porte le même nom est-il un pur hasard? Ben oui en fait. Il aurait pu être boulanger le mec.


Polar naturaliste, le film tente de nous faire ressentir la difficulté que Chad (Michael Fassbender) a à sortir sa famille de son déterminisme social imposé par le père (Brendan Gleeson). Porteur de thèmes forts, comme la marginalisation, l’impossibilité de la rédemption ou le rapport au père, le scénario s’embourbe malheureusement et beaucoup trop rapidement dans les clichés et le manichéisme facile, cherchant avant tout à créer l’émotion plutôt que de provoquer la réflexion. Chaque personnage ressemble à une caricature, des sortes de notes d’intentions sur pattes : le père est un gourou sur pattes incapable de la moindre remise en question sans qu’on ne comprenne jamais pourquoi, Chad essaie de s’en sortir, puis non, puis en fait si, mais non, mais en fait si, mais en fait non, oh et puis si allez  etc… Les flics sont bourrus, cons et ils veulent surtout pas qu'ils s'en sortent les mecs dans les caravanes, puis la femme est là pour faire à manger aux gosses hors-champ et éventuellement dire à Chad que la thug life c'est pas cool sérieux.
Le casting a donc du mal à exister et peine à livrer des performances convaincantes, tombant rapidement dans le cabotinage extrême, voire insupportable. Mention spéciale tout de même à Fassbender, qui parvient à donner un minimum d’épaisseur à son personnage malgré une écriture au stylo-feutre 4,5km d’épaisseur. Le film reste banal, une énième itération sur la difficulté de sortir de la thug life (c'est elle qui t'a choisi gros, tu peux pas test).



Pour autant, Adam Smith (qui n’a aucun lien avec le philosophe et économiste des lumières, je le rappelle, je sais que ça vous intrigue de ouf ça, sacripants), parvient à amener une efficacité et une radicalité via sa mise-en-scène. Les courses-poursuites sont maîtrisées, l’aspect caméra-épaule/documentaire classique mais ici utilisée à la perfection, amenant le rare semblant de réalisme du film et ayant la bonne idée de rester sobre. Reste des points de coupes parfois trop brutaux et rarement justifiés, mais bon, on va lui passer ça.


Si le film n’est pas une bouzasse innommable (comme The Last Face, que j'arrive à nommer seulement parce qu'il faut que le monde sache), il reste particulièrement classique, sans grand intérêt, surfant sur la vague des polars sociaux, déjà dépassés aux UK. Empêchant toute réflexion à cause d’un scénario beaucoup trop prévisible et surtout beaucoup trop vu, il vaut peut-être mieux matter un Harry Brown posay oklm, comme disent les plus jeunes d’entre nous.




Antoine T.

Note du rédacteur : 2,5/5 (Moyen)

jeudi 9 mars 2017

Logan, de James Mangold

Disons le tout de suite : je suis tout à fait allergique à la vision des studios concernant l’univers Marvel, et à cette aseptisation pachydermique qui laisse intacte les structures scénaristiques pour n’avoir à changer que le nom des héros qui défilent les uns après les autres sans saveur aucune. Iron Man, Captain America, Thor, Hulk, Spider Man, X-Men… Toutes ces licences sont les mêmes, à quelques détails près. Les films qui en sont issus ne sont rien de plus que des miroirs les uns pour les autres. Une telle paresse me dépite absolument, surtout quand le traitement s’avère systématiquement fade et insipide.

Puis vint Avengers, un film qui ne dénote en rien par sa structure, mais qui propose une mise-en-scène bien plus réfléchie et chorégraphiée, un film ô combien plus intelligent dans son traitement formel que n’importe lequel de ses prédécesseurs, donnant un peu d’espoir quant aux futurs réalisations Marvel. De toutes façons, on n’y coupera pas, donc s’ils peuvent accroître la qualité intrinsèque de leurs films, c’est toujours ça de pris. Dès lors, le seul nouveau sursaut (dans une bien moindre mesure), estampillé Marvel, était Les gardiens de la galaxie. Péloche amusante qui parvenait à sortir du carcan super-héroïque pour proposer un hybride entre film fantastique et film de science-fiction. M’enfin, deux films intéressants sur la quantité ahurissante et assommante de Marvel sortis ces dernières années, ça fait bien maigrelet.

Le pire dans tout ça, c’est la façon qu’ont les studios de museler et d’anéantir la créativité de leurs metteurs-en-scène sur les projets qu’ils mettent en chantier, et de les plier à leurs exigences marketing et pécuniaires. Faut-il rappeler que Thor a été réalisé par Kenneth Branagh ou que l’excessivement mauvais Hulk de 2003 nous vient d’un certain Ang Lee ? Comme quoi, Disney n’a pas nivelé la qualité des produits Marvel vers le haut depuis leur rachat en 2009, bien au contraire.
C’est alors qu’un hybride Fox/Marvel est annoncé, sous la tutelle de James Mangold, réalisateur d’Identity mais aussi du bien faiblard et poussif Wolverine - Le combat de l’immortel. Voilà de quoi appuyer un peu plus l’influence néfaste de Marvel sur les réalisateurs qu’ils emploient. C’était sans compter que la Fox allait y mettre le bout de son nez.

Logan se pose comme un film vraiment burné qui ne prend jamais de haut ni le sujet, ni le spectateur. Le personnage alcoolique et suicidaire de Logan est traité avec beaucoup de justesse et attisera un réel intérêt même chez les plus réfractaires à cet univers. Nous serons plongés en 2029, les mutants semblent avoir disparu, Logan cache un professeur Xavier en plein déclin mais aux facultés surnaturelles toujours extrêmement puissantes, bien qu’une maladie cérébrale l’empêche de les contrôler tout à fait. C’est alors qu’une femme demande à Logan de prendre sous son aile une jeune fille chassée par un paquet de paramilitaires, jeune fille qui lui ressemble en de nombreux aspects.

C’est avec étonnement qu’on se prendra à suivre des personnages en rien superficiels et avec une vraie profondeur émotionnelle. Un point d’autant plus important que les Marvel se limitent bien souvent à caractériser leurs personnages de par leur simple aspect visuel et esthétique sans chercher à mettre de la chair sur les ossatures de protagonistes un brin monomaniaques. L’aspect survival du film, qui n’est pas sans rappeler un certain Last of Us, se permettant sans retenue aucune d’apporter une violence crue et frontale là où le studio ne laissait paraitre aucune effusion de sang malgré les griffes de Wolverine ou les flèches de Hawkeye. Le film s’inscrit du coup dans un contexte évidemment fantastique mais également ultra-réaliste : Logan décapite, démembre, les coups font mal, se ressentent, les griffes se plantent dans les chairs et les transpercent. Là où la violence de Deadpool se plaçait dans un contexte ironisé et grotesque (n’y voyez rien de péjoratif), et se voyait donc plus amoindrie, la violence de Logan prend une véritable consistance et impacte le spectateur d’autant plus qu’elle est froide, concrète et grave.

Tout ce traitement finalement très adulte, qui s’éloigne de la morosité de produits calibrés pour toucher le plus large public possible, s’ouvre à l’intégralité du film de Mangold, qui prend des directions fortes et assumées en mettant en scène sa petite actrice, excellente de surcroit, Dafne Keen, balancer la tête du bougre qu’elle vient de décapiter aux pieds de ceux qui lui veulent du mal. Ou ces plans montrant des gosses allongés sur des brancards, qu’on empêche de bouger de par des liens, et qu’on euthanasie tour à tour car ils ne correspondent pas à ce que la société attend d’eux. Belle parabole. La réalisation se permet qui plus est de nombreux assauts de virtuosité à la gueule du spectateur, lâchant des chorégraphies redoutables mêlant Laura (Dafne Keen) et Logan se farcir ensemble les antagonistes. Le montage, d’une efficacité redoutable, prend le temps de laisser se prolonger l’action lorsqu’il le faut, et de cuter s’il s’agit d’appuyer la violence d’un coup porté ou d’un mot prononcé, sans jamais perdre le spectateur dans l’espace, sans jamais lui épargner la vue de l’adamantium déchirant la peau des pauvres hères agissant sous les ordres d’une société aliénante et impétueuse. On soulignera également la bande-son du film, entremêlant les mélopées de Johnny Cash à la poussière du désert et aux pérégrinations de personnages aussi torturés que motivés par un autre-chose, sur cette Terre ou ailleurs.

Pour finir, je n’en peux plus de cet argumentaire grotesque consistant à dire qu’il faut bien toucher un large public, que tout le monde aille le voir, que ça s’adresse à tous. Dans ce cas là, on accepte de ne pas aller voir un film qui soit l’œuvre d’un artiste avec une vision, mais plutôt un produit marketing extrêmement calibré pour rentrer dans un cahier des charges bien précis. On accepte donc d’aller voir un produit, pas un film. C’est vraiment ce qu’on veut ? Le succès de Logan, rentabilisé en un week-end, balaie cet argumentaire d’un revers de la main, et prouve qu’on peut très bien concilier les deux.

Un édifiant western moderne qu’il vous faudra absolument découvrir.





Jérémie N.

Note du rédacteur : 4/5 (Très bon)

mardi 7 mars 2017

T2 Trainspotting, de Danny Boyle

En 1996, Danny Boyle avait réussi à se faire un nom avec son deuxième film, le désormais culte Trainspotting. Oeuvre citée encore comme une référence par un très grand nombre de critiques, mais aussi encore apprécié du grand public, il est assez surprenant de s’apercevoir qu’il ne s’agit que d’un film cynique, jamais subversif, faussement transgressif et à la provocation inoffensive mettant en avant son imagerie trash, lui permettant donc de faire illusion auprès du public. Ainsi, au lieu d’avoir le film choc annoncé, on avait uniquement une provocation facile de pré-pubère à base de bébé mort et de lancé de merde, mais qui ne s’intégrait jamais vraiment dans le récit. Ainsi, le choc n’était jamais vraiment présent, et on se retrouvait avec un film qui montrait de haut ses personnages ouvertement cons, dont la mise à distance dans la réalisation et la bêtise de ses protagonistes était censée amener du fun qui masquerait au passage le vrai manque de propos et de profondeur de l’œuvre. Il est par ailleurs assez hallucinant de revoir la dernière scène du film, avec Ewan McGregor avançant vers la caméra, un sourire se dessinant petit à petit tandis que sa voix nous expliquait en off qu’il allait devenir quelqu’un de « normal ». Cette dernière phrase, très ouverte au niveau du sens, était une dernière manière de se mettre dans la poche un public ne cherchant qu’à se faire caresser dans le sens du poil, en appuyant le point de vue du spectateur sur l’héroïnomane et le rapport qu’il a à la société, et ce quel que soit le point de vue de ce même spectateur. C’est dire si j’attendais avec impatience cette suite tardive qu’est T2 Trainspotting 2, d’autant plus que celle-ci ne semblait s’inscrire uniquement dans la lignée de toutes ses suites qui arrivent sur nos écrans 20 ou 30 ans plus tard sans qu’il n’y ait un véritable intérêt…

20 ans après les évènements du premier film, Mark Rent s’avère être pris de remords vis-à-vis de ses anciens amis, Spud et Sick Boy. Ainsi, il décide de retourner à Edimbourg se faire pardonner sa trahison. Mais ce que Rent ne sait pas, c’est que Begbie, 4ème membre de la bande et psychopathe en puissance, vient de s’échapper de prison…
La première chose qui frappe au visionnage de Trainspotting 2, c’est tout simplement l’absence de véritable récit. De la première à la dernière scène, on a le sentiment que le film ne sait pas vraiment quoi raconter : probablement parce que Trainspotting premier du nom avait malgré tout pour vocation de nous parler d’une génération et de son mode de vie. Ici, au lieu de nous parler de la manière dont cette génération a pu vieillir, le scénariste a choisi de parler des souvenirs de la jeunesse des protagonistes. Manière d’évoquer à nouveau certains aspect de cette génération qui n’avaient pas été évoqués dans le premier film ? Non. Ici, il ne s’agit que de profiter de la nostalgie du fan, lui évoquant constamment des scènes du premier film (quand il ne s’agit pas tout simplement de mettre directement des plans issus de Trainspotting premier du nom), et donc de faire du fan service pendant une grande partie du film. On notera par ailleurs que l’un des buts du premier film était malgré tout de choquer son spectateur. Il est donc on ne peut plus contradictoire de chercher à faire plaisir à son spectateur en faisant la suite de ce film, surtout lorsque le plaisir est censé être amené par l’évocation du premier opus.

Mais hélas, le scénario n’est pas la seule source d’énervement. Ici, c’est la première fois depuis longtemps que l’on peut avoir le sentiment que Danny Boyle ne sait pas comment filmer son histoire. Constamment à la recherche de formes nouvelles pour ses films, Boyle avait été, ces dernières années, particulièrement inventif quant à la manière de filmer et découper ses films. Que cela soit avec Trance et Sunshine, cette forme s’avérait extrêmement jouissive et lui permettait de faire du très bon divertissement, quand celle-ci n’est pas à la limite de l’expérimentale avec son excellent 28 jours plus tard. On était donc en droit d’attendre de Boyle une mise en scène efficace, vu la qualité de ses dernières œuvres. Hélas, il n’en est rien. Il s’agit clairement de son œuvre la plus faible de ce point de vue, tant cette mise en scène s’avère clipesque, et disons le clairement: forcée. On a le sentiment qu’ici, Boyle ne cherche pas à filmer de manière cohérente son film, mais tout simplement de donner la forme que l’on attend d’un de ses films. Ainsi, chaque cadre de travers, chaque mouvement de caméra improbable, chaque effet de style peine à vraiment s’intégrer, et plombent finalement le rythme que Boyle essaie d’insuffler à son film… 

Que dire d’autre ? Pas grand chose… Il n’y a pas grand chose à dire sur ce film, malheureusement… C’est clairement raté, mais il y a un tel manque d’ambition qu’il est en même temps compliqué d’imaginer comment ce film aurait pu être une réussite. Jamais intéressant, jamais intelligent, jamais choquant, jamais drôle, Trainspotting 2 s’inscrit donc dans cette lignée de films que je citais plus haut qui s’évertuent à continuer de cultiver un culte autour d’anciens succès. Mais en essayant de le mettre en même temps dans l’air du temps, cela ne fait que rendre cette suite complètement inutile (si on considère que le premier avait un interêt, bien sûr) et anecdotique. Il faut juste espérer que Boyle ne continue pas dans ce style et revienne à des œuvres plus pertinentes et réellement inventives, comme lui seul peut avoir par moment le secret.


Claude S.


Note du rédacteur: 1/5 (Navet)