Premier film de Thomas Kruithof, co-écrit par
Yann Gozlan, réalisateur de Captifs et d’Un homme idéal,
il rejoint donc une mouvance du cinéma de genre en France débutée par Fred
Cavayé et son co-scénariste Guillaume Lemans, lui aussi co-scénariste sur Un homme idéal, toujours de Yann Gozlan (tout est lié !), celle qui aime
partir d'un postulat très "cinéma français" pour glisser vers le
genre le plus total.
Kruithof parvient-il à concilier divertissement
grand public et genre comme ses pairs ?
Après un burn-out, Duval (François
Cluzet) se retrouve au chômage pendant près de 2 ans. Après un appel
mystérieux, il se retrouve à travailler pour une entreprise de sécurité privée.
Son travail est aussi secret qu’il est simple : retranscrire le contenu
d’appels téléphoniques à l’aide de sa machine à écrire…
Froid, paranoïaque, bien mis-en- scène, réaliste
et premier degré jusqu’au bout : on se laisse entraîner avec plaisir dans
la descente aux enfers de Duval, qui débute dès la première scène : en l’espace
de 5 minutes, Thomas Kruithof nous montre comment d’une situation à priori
anodine (le patron demande à l’employé de remettre un dossier pour le lendemain
matin), un homme se retrouve complètement brisé. En 5 minutes, ce que l’on voit
est plus efficace que ¾ des films « sociaux » qu’on mange à la pelle
depuis des années.
Le film contient peu d’action, on est dans une
retenue et une économie rare : le réalisateur a conscience de son budget
et n’essaie pas de « faire comme », mais se sert de son art pour en
raconter le plus possible avec peu. Dans cette logique d’économie, les
dialogues sont brefs, concis, sans surgras, et surtout servis par des acteurs impliqués
et merveilleusement bien dirigés : Denis Podalydès, le grand manitou, passe de patron sympathiquement mystérieux à gros con effrayant en un regard;
le trop rare et pourtant fantastique Simon Abkarian incarne un espion grande
gueule, sympathique mais violent; Sami Bouajila tout en retenu et bien
évidemment un François Cluzet qui achève de nous prouver qu’il est l'un des meilleur
« everyday hero » du cinéma français.
une paranoïa de tous les instants : on se sent aussi perdu que le personnage, ne
pouvant compter que sur lui-même pour en sortir. Le film évite d’être trop
manichéen, notamment avec une fin (bien qu’expéditive, on y reviendra) qui
amène un discours nuancé après avoir cru à un basculement avec les gentils/les
méchants.
Bien entendu, s’inscrivant dans le film
d’espionnage, on ne peut éviter un discours politique, ici très discret et avec
suffisamment de distance pour l’évoquer sans lourdeur : sur fond de montée
des extrêmes, on évoque le mensonge que peuvent provoquer l’interprétation des
images, on prend soin de montrer le danger des écoutes, du numérique mais, plus
original, de l’analogique : s’il doit taper à la machine à écrire, c’est
pour éviter la fuite d’informations, et permet donc à une entreprise plus que
louche une impunité totale. Le classique débat est posé : la sécurité au
détriment de la liberté est-elle une solution viable ? Peu importe, de
toute manière, peu importe la réponse : au final, c’est nous qui trinquons
pour des gens qui n’ont que pour seul but le pouvoir.
Malheureusement, le film n’est pas exempt de
défaut : sa structure et son rythme, partant de l’idée de faire du
« métro-boulot-événement étrange-dodo », ne fait jamais
avancer l’intrigue, qui n’avance que grâce à l’intervention d’un personnage
tiers. Voir un vieil homme tout nu à travers le judas, ça met une ambiance
bizarre, mais ça ne sert à rien. À part nous faire une espèce de screamer à la
Derrick.
C’est d’autant plus dommageable que le film
aurait gagné à être plus long, notamment dans sa 3ème partie,
beaucoup trop expéditive et entraînant une fin bavarde pour nous expliquer ce
que l’on aurait pu comprendre rapidement si seulement Thomas Kruithof s’était
permis de distiller plus d’indices tout au long de son film. On aurait aussi
aimé voir un peu plus de « folie » (pour un premier film, c’est
malheureusement souvent le cas), qu’on pense ressentir à certains
moments : il aurait pu nous offrir un film d’espionnage beaucoup plus
sensoriel que la normale.
Le film est aussi beaucoup trop froid. Si cela
participe à la bonne ambiance du tout, certaines relations entre les
personnages en pâtissent : la première victime de cette froideur, le
personnage féminin incarné par l’attachante Alba Rohrwacher.
Si Thomas Kruithof et Yann Gozlan ont eu l’intelligence de ne pas nous imposer
une romance malvenue avec le personnage principal, elle aurait mérité d’être
présentée comme une bouffée d’air frais pour ce dernier. En dehors de lui, elle
n’existe pas, et ne sert que de prétexte pour un twist contestable, puis
éventuellement offrir un épilogue un peu plus optimiste à notre héros. D’autant
plus visible qu’elle est la seule femme du casting. Dommage, son personnage
laissait présager un traitement intéressant.
En
conclusion, malgré une froideur trop présente et un rythme qui ne parvient pas
vraiment à se mettre en place, occasionnant un troisième acte trop expéditif,
le film est de très bonne facture. Jamais il ne s’excuse d’être un film de
genre français et surtout il a l’intelligence de rester premier degré, jusque
dans les manteaux longs des espions, sans paraître ridicule. Grâce à une
excellente direction d’acteur et un véritable travail sur l’image et sur le
son, on se prend facilement au jeu.
On
est vraiment passé près du grand film, on surveillera Thomas Kruithof et ses
amis, mentionnés dans l’introduction, qui tous représentent un véritable espoir
pour le cinéma de genre grand public en France.
Note du rédacteur : 3,5/5 (Bon)
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