Après A Single Man, première œuvre maîtrisée mais un peu trop classique pour
vraiment marquer, Tom Ford aura mis 7 ans avant de sortir son deuxième film. Parvient-il à transformer l'essai ?
C'est donc en ce début d’année 2017 que Nocturnal Animals nous
apporte la réponse : Tom Ford est un auteur et un metteur-en-scène sur lequel il faudra compter dans les années à venir .
Susan Morrow est une femme malheureuse : galeriste à
succès mais dépassionnée par un milieu embourgeoisé faussement subversif, marié
à un business man qui lui est infidèle. Après une autre exposition à succès,
elle reçoit le manuscrit du livre de son ex-mari, lui étant dédié. Alors que
son mari doit partir pour un énième voyage d’affaire, Susan se plonge dans le
roman…
Il est intéressant de voir comme le film se joue des stéréotypes : il y a le monde de
Susan, froid, qui domine le reste du monde du haut de sa colline. Pourtant, les bourgeois ne sont pas au-dessus des problèmes des autres, ils sont
conscients de la tristesse du monde, s’interdise même le malheur, décrétant
qu’ils sont tellement privilégiés qu’il serait indécent d’être
malheureux. La mère bourgeoise refuse le couple de sa fille à cause des
différences, non pas de classes comme d’habitude, mais tout simplement de
caractère. Ici, la trace de déjection d’un texan sur un bout de papier toilette
rappelle le rouge à lèvre sur un mouchoir de la cité des anges. L’intelligence
de Tom Ford est de choisir des stéréotypes pour immédiatement leur tordre le
coup : ici les classes sont représentées comme des victimes et des bourreaux de
leur monde respectif. L’homme moyen n’est pas un héros plus qu’un autre,
l’homme riche n’est pas plus heureux qu’un autre.
On sent l’influence de Michael Mann, dans cette façon de
filmer Los Angeles de manière abstraite : ces autoroutes aériennes, ces points
lumineux ne s’observant qu’au travers d'une fenêtre géante; de John Carpenter lors
d’une séquence de course-poursuite qui ne vous laissera pas une seule seconde de répit; ou de David Fincher lorsqu’il s’agit de filmer le
fait-divers Etats-Uniens. Et bien entendu, David Lynch qui, outre un jumpscare tout
aussi traumatisant que l’homme derrière les poubelles de Mulholland Drive, se
retrouve dans ce jeu sur ce qui est de la réalité et ce qui est de la fiction.
Tom Ford les a digérées
pour en sortir une œuvre unique, à la sensibilité rare et qui touche sa cible à
chaque séquence. Qu’il interroge sur la dépression, sur le couple, sur les
classes, sur la fiction : chaque thématique est abordée de façon simple, mais jamais
simpliste, et toujours de manière juste. Le meilleur exemple étant la critique de cette industrie de l'art (et de la création en général) "bourgeoisifiée", qui ne nécessite ici que 5 minutes pour être comprise et intégrée, contrairement à l'heure et demi de discours abscon qu'on peut retrouver chez un NWR sur The Neon Demon. Partageant une même volonté de montrer ce monde en dehors des réalités, le film de Tom Ford l'emporte haut-la-main en dressant un portrait juste et mordant de ces nouveaux dieux terriblement humains.
Bien évidemment, il m’est impossible de conclure sans parler des comédiens : pas un seul, peu importe que son rôle soit principal, secondaire ou tertiaire, pas un seul n’est pas crédible. Un Jake Gyllenhaal qui convoque ainsi toute l’étendue de son répertoire de manière magistrale, un Michael Shannon magnétique qui parvient à vous le faire adorer ou détester par un simple regard ou crachat, un Aaron Taylor-Johnson méconnaissable qui offre au cinéma l’un de ses psychopathes les plus crédibles.
Et comment ne pas parler d’Amy Adams, qui prouve à ceux qui pouvaient
encore en douter (qui ? levez la main !) qu’elle est peut-être
l’actrice la plus précieuse que compte le cinéma américain aujourd’hui. A la
fois forte et faible, bourreau et victime, impossible de penser à une autre
actrice pouvant jouer avec autant de chaleur une femme aussi froide.
Un film d’une sobriété et d’une élégance rare qui place Tom
Ford après seulement 2 films comme l’un des auteurs majeurs du cinéma américain
moderne. Une œuvre marquante, dont on ne peut sortir indemne, surtout après
une dernière scène d’une force et d’une violence psychologique rarement vue au
cinéma, et qui achève de prouver (désolé pour vous mes chers cathos de "Promouvoir") que la fiction, aussi violente soit-elle, n’est
rien comparée à la violence du quotidien.
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