Véritable tour de force technique, L’Odyssée de
Pi est récompensé de 4 oscars en 2012, dont
« meilleurs effets
visuels » et « meilleure photographie » et rapporte à son
réalisateur, Ang Lee (ayant entre autre réalisé Tigre et Dragon
et Le secret de Brokeback Mountain ) celui du meilleur
réalisateur.
Il a donc, dans l’industrie hollywoodienne, carte blanche.
Poursuivant son exploration des nouvelles techniques cinématographiques, il
s’attaque à l’adaptation du livre Billy Lynn’s Long Halftime Walk
de Ben Fountain. Le film, tourné en 4K 3D et surtout à 120fps, mettra 4 ans à
sortir.
Un jour dans la vie de Billy Lynn, en 4K 3D à
120fps, s’annonçait comme l’un des projets cinématographiques les plus importants
depuis Avatar de James Cameron, puisqu’on le rappelle, tourné à
4K 3D 120fps.
Ce véritable tour de force sera récompensé en France, grand
pays du cinéma, par une sortie technique en HD 2D à 24fps. C’est donc dans une
version ôtant 80% de cinéma au film que cette critique à été écrite. Parce que je le répète, il était tourné en 4K, 3D et (tous en chœur) 120fps.
Engagé dans l’armée
américaine en Irak, Billy Lynn est une célébrité depuis qu’une vidéo de lui a
été tournée le montrant en train de sauver son sergent. Lui et son unité se
voient donc attribuer une perm’ de 15 jours, durant laquelle ils traverseront
les Etats-Unis pour une tournée des héros.
On va donc suivre Billy et l’unité Bravo lors du dernier
jour de cette fameuse tournée, ayant pour point culminant un concert des
Destiny’s Child lors de la mi-temps d’un grand match de football américain.
La surprise que l’on a en sortant du film, c’est qu’il est
beaucoup plus corrosif que ce que les trailers laissaient paraître. On est
beaucoup plus proche de la hargne d'un Starship
Troopers que du populisme d’un American
Sniper : le film est un véritable appel politique à une société
américaine qui traite ses soldats comme des héros sans même s’intéresser à leur
réalité. La comparaison avec Paul Verhoeven n’est pas anodine, Ang Lee posant
lui aussi un regard étranger sur les USA, lui accordant alors le recul nécessaire
pour traiter son sujet.
Ici, la propagande lave le cerveau du peuple, pas celui des soldats : lorsqu’on dîne en famille, on refuse d’éteindre la FOX et sa propagande interventionniste, on s’énerve lorsque quelqu’un ose émettre l’hypothèse que la vraie raison de l’intervention américaine n’est pas les armes de destructions massives mais le pétrole. On passe son temps à demander aux soldats si « ce que l’on fait là-bas est bien utile », comme pour se rassurer de ne pas être parti dans un nouveau bourbier digne du Vietnam, cette fois aux conséquences encore plus désastreuses. Le tout pour que le peuple continue à soutenir son gouvernement et le business du « America Fuck Yeah » sans même se poser de questions. Le peuple applaudit les héros de la nation pendant 10 secondes avant qu’une pub sur le dysfonctionnement érectile ne soit diffusée sur les écrans du stade et soit aussi applaudit. C’est une Amérique où les pétroliers aiment à remercier les soldats parce qu’ils permettent à leurs entreprises de se développer, et qui pensent que la guerre se joue aussi sur leur terre. Une Amérique qui se cache les yeux et qui traitera ses vétérans de la même manière qu’elle l’a fait après le Vietnam : en leur offrant un Coca gratuit pour chaque médaille.
Car le cœur du film, c’est bien évidemment Billy : sa
gueule d’ange et son héroïsme font de lui le parfait outil marketing :
c’est comme ça la guerre, on tente de sauver son sergent par pur camaraderie,
envoyez les sous. C’est sous son regard qu’on découvre une Amérique hypocrite
et malsaine, un pays dans lequel il ne pourra jamais revenir car à jamais il
sera le militaire. Une Amérique qui, à part des apparitions sur un stade, n’a
rien à lui offrir, rien à lui donner pour l’aider à se reconstruire, détruit
par une guerre dont il sait qu’elle n’a rien de légitime. Pris dans les griffes
du « syndrôme post-traumatique », Billy et son unité vont devoir
lutter pour survivre à cette journée, pendant laquelle les organisateurs les
trimballeront de salle en salle, de photographe en photographe, de scène en
scène, comme on montre le plus beau cul de vache au salon de l’agriculture.
Billy se prend même à rêver au calme des rues d’une ville irakienne pendant qu’il traverse les couloirs d’un stade rempli de monstres dégoulinant de graisse de hot-dogs et de bières, tout en se faisant traiter de PD par des spectateurs pour « rigoler ». Ils le disent eux-même : « Même les barbus nous respectent plus ».
Billy se prend même à rêver au calme des rues d’une ville irakienne pendant qu’il traverse les couloirs d’un stade rempli de monstres dégoulinant de graisse de hot-dogs et de bières, tout en se faisant traiter de PD par des spectateurs pour « rigoler ». Ils le disent eux-même : « Même les barbus nous respectent plus ».
Et c’est au détour d’une poignante scène, que je ne vous
révèlerai pas, dans laquelle Billy confronte la fille qu’il pense aimer qu’il
se rend compte à quel point il n’est plus rien dans ce monde. S’il n’est plus
un soldat, il n’a plus de porte de sortie, plus rien pour l’accueillir. Comme
le dira le personnage de Vin Diesel, « la balle a déjà été
tirée ».
L’Amérique n’est plus la maison, c’est le territoire ennemi.
Le film est donc un véritable cri du cœur face à une guerre
qui a trop duré, et une mentalité qui aide à justifier toutes celles qui
arriveront à l’avenir, au prix de la destruction de soldats s'engageant non plus par patriotisme mais par pragmatisme dans un monde occidental où les plus précaires sont laissés à l'abandon. C’est un film purement destiné à faire bouger le peuple
américain, le forcer à se raisonner. Même si cela signifie que les dernières
minutes doivent être trop explicites sur le propos même du film, elles permettent de
délivrer un message fort et compréhensible par tout le monde.
Du moins il aurait dû. Car là se trouve le vrai problème du
film : son exploitation. Comme précisé (de nombreuses fois, désolé) dans
l’introduction, le film a été distribué en France en 2D, 24FPS et en HD. On a donc
enlevé une dimension, 96 images/sec et réduit de 4 fois la définition pour
notre beau pays du cinéma. Sur les 15 salles ayant diffusé le film en France,
tout ça pour permettre une sortie Blu-Ray/DVD sans avoir
« l’affront » de passer pour un simple DTV, aucune salle n’aura présenté le
film en HFR (High Frame-Rate), pourtant équipées au moins pour les version
48/60fps du film.
Tout ceci n’est pas anodin, ce n’est pas qu'un caprice de geekos : c’est un gâchis monumental et on ne peut que ressentir l’impression
de voir un film amputé de 90% de sa mise-en-scène. Les travellings circulaires
deviennent désagréables et illisibles, les gros plans ne permettent plus de voir
le moindre mouvement des visages, apportant une émotion nécessaire pour
se plonger dans les enjeux de chaques scènes, les plans subjectifs avec les regards caméras des
acteurs s’adressant à Billy (et à nous) perdent tout leur sens et peuvent en
devenir malaisants.
Parce que là se situait le défi, dont on ne saura jamais
s’il a été réussi ou non (même si tout laisse penser que si), d’Ang Lee :
se servir de la pointe de la technologie pour raconter une histoire à hauteur
d’homme, de la manière la plus immersive qui soit. Reste alors à tenter
d’imaginer à quoi cela pourrait ressembler, et pleurer en se disant qu’on est
passé à côté de quelque chose pour une histoire d’argent. Tiens, comme quand on
passe à côté de l’âme d’un soldat pour partir sur un autre business. Méta quand tu nous tiens. (D'ailleurs, y a une super vanne méta sur le fait que maintenant on a besoin des chinois pour produire des films plus couillus que la moyenne. Sachant que le film est co-produit par la Chine).
Un film militant rare et plus que jamais utile aujourd’hui; des acteurs convaincants
et des personnages attachants (et pour d’autres délicieusement détestables); le tout gâché par le massacre d’une mise-en-scène dont on ne pourra jamais admirer la pourtant
visible maîtrise et la révolution qu’elle incarne pour le médium cinéma. On
aime à applaudir les prises de risques, on aime dire qu’un Dolan en 4/3 ou un
Nolan qui fait tourner un décor sont des « petits sorciers » en
criant à la prouesse technique. Pourtant, quand il s’agit de véritablement
repousser les limites, briser les normes, personne n’ose sauter le pas. Alors
on va s’excuser en disant que le film est bien même en 24fps, sans même
préciser que le film en souffre terriblement.
De manière objective, le film en l’état devrait valoir un
3,5/5. Pourtant, au vu de ce qu’il représente, c’est à dire un bon gros portage
de couilles des familles, et de son traitement honteux dans le circuit français,
il aura le droit à la note maximale. Parce que le film qu’il devrait être
semble être un véritable chef-d’œuvre et un « game changer » pour le
cinéma.
Et je m’en fous, personne le verra en 4K, 3D et 120fps, donc personne ne peut me contredire.
Antoine T.
Note du rédacteur : 5/5 (Chef d'oeuvre)
Note de l'équipe : 4,5/5 (2 notes)
Note du rédacteur : 5/5 (Chef d'oeuvre)
Note de l'équipe : 4,5/5 (2 notes)
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