En 1983 sortait aux États-Unis et au Canada le dernier film de David Cronenberg : Videodrome. Auréolé par le succès de Scanners, sorti en 1981, les studios commencent à s’intéresser de plus près à ce jeune metteur en scène, pourtant déjà responsable de plusieurs très bons films comme les excellents Rage et Chromosome 3, mais qui n’avait jusqu’à ce jour jamais connu de véritable succès commercial. C’est ainsi que les studios Universal acceptent de produire cette véritable bombe, œuvre absolument unique au sujet aussi philosophique que prophétique. Mais hélas, la sortie du film s’est soldée par un échec au box-office (raison pour laquelle le film mis plus d’un an à arriver en France à l’époque).
Depuis le 11 avril dernier, vous pouvez découvrir ou redécouvrir Videodrome sur grand écran. Revu à la hausse avec le temps, celui-ci est devenu véritablement culte auprès des cinéphiles et est considéré à juste titre comme l’un des plus grands films de son auteur (et j’oserais même dire qu’il s’agit là de son ultime chef-d’œuvre). Cette sortie salle est donc la parfaite occasion pour remettre au goût du jour un film beaucoup trop méconnu du grand public. Une œuvre dont la puissance thématique s’avère être pourtant plus que jamais d’actualité.
Videodrome raconte l’histoire de Max Renn (interprété par James Woods), dirigeant d’une chaine de télévision particulièrement racoleuse : Chaîne 83. Spécialisée dans les sensations extrêmes, cette chaine a pour but de diffuser des œuvres que les autres chaines n’osent pas diffuser, allant de la pornographie soft à la violence la plus brutale. En utilisant un capteur pirate, Max fini par tomber sur un programme des plus étranges : Videodrome. Pas d’histoire, uniquement des images d’une femme se faisant torturer pendant plus d’une heure. Se disant qu’il s’agit là du programme TV parfait pour sa chaîne, celui-ci décide de se mettre à la recherche des créateurs de Videodrome. Mais en plus d’apprendre rapidement qu’il s’agissait là d’un véritable snuff movie et non pas d’un programme de fiction, Max commence à avoir des hallucinations de plus en plus fortes, l’empêchant de faire la différence entre son imaginaire et la réalité, au point que son corps devient à sa manière une sorte de magnétoscope humain…
Je m’en voudrais d’en dire plus sur l’intrigue du film, tant celle-ci est alambiquée et regorge de retournements de situations. Il faut juste savoir qu’il s’agit là d’une réflexion sur le pouvoir des images, sur la manière dont nous sommes abreuvés de tous les côtés par celles-ci et dont elles finissent par influer sur notre comportement, que cela soit conscient ou non. Et sur ce sujet, il faut dire que Cronenberg ne fait pas les choses dans la dentelle : hallucinations de plus en plus violentes, télévisions, magnétoscopes et VHS prenant des formes organiques, les locaux de la soupe populaire plaçant les SDF chacun devant un écran de télévision avant de leur offrir un repas… L’un des personnages les plus fascinants du film, le bien nommé « professeur O’Blivion » en est au point de n’apparaitre qu’au travers d’un écran de télévision. « L’écran de télévision est devenu la rétine de l'esprit » dit-il à travers ses vidéos le mettant en scène.
En ce sens, il faut vraiment ne pas prendre le film uniquement comme un discours sur la télévision. La télévision étant bien évidemment un véritable puits à images incessantes, il est évident que Cronenberg allait prendre cet exemple pour mettre en image son histoire. Mais il s’agit en vérité de n’importe quelle image, et peu importe d’où celle-ci provient. Une image marque notre esprit, et qu’on le veuille ou non, le fait de l’avoir eu devant les yeux a des chances de nous influencer, consciemment ou non. Œuvre au nombreux niveaux de lecture, l’intrigue de Videodrome est à elle seule un véritable puits à réflexion. Les questions que se pose le spectateur au fur et à mesure de l’avancée du récit s’avèrent être de plus en plus complexes, l’intrigue de plus en plus difficile à cerner, au point de forcer le spectateur à ne pas lâcher prise tout en le forçant à accepter que ce qu’il voit n’est pas forcément une réalité. Chaque question restera en suspend, Cronenberg choisissant de laisser le spectateur avec ses doutes car ce n’est que de là que proviendront toutes les pistes de réflexions que le spectateur aura en tête en quittant le film.
Cronenberg au scénario, c’est évidemment du grand art. Mais il ne faut pas oublier qu’il est avant tout réalisateur. Et ici, soyons francs : il s’agit d’une énorme claque dans la gueule ! Pur film de série B, Cronenberg pense sa mise en scène avec un brio comme lui seul est capable de le faire. Avec une économie de moyen qui s’avère être une véritable leçon pour chaque réalisateur, celui-ci propose une mise en scène à la sobriété exemplaire n’ayant jamais recourt à des effets facile mettant en avant son savoir faire pourtant énorme, où chaque mouvement de caméra a un sens tout en étant constamment symbolique. La réalisation de David Cronenberg sur Videodrome est le plus beau mariage qui existe entre des choix purement intellectuels, et des choix permettant au récit d’être d’une viscéralité constante. Il faut voir cette ouverture du récit (dont la première image est bien évidemment un écran de télévision), avec ce lent travelling arrière nous amenant aux côtés de cet anti-héros tandis que son assistante nous le présente à travers un écran. Il faut voir ces séquences d’hallucinations avec le personnage de Max voyant son matériel devenir organique, où la fixité des cadres nous rend tout aussi prisonnier de ses hallucinations que le personnage. Et il faut voir l’incroyable ambiance surréaliste qui se dégage des séquences dans le Videodrome, probablement les séquences les plus malsaines qu’ait filmé Cronenberg de sa carrière, mais également les plus fascinantes.
Et bien sûr, que serait la réalisation de David Cronenberg sans la musique de Howard Shore ? Compositeur attitré de Cronenberg depuis Chromosome 3, il s’agit là de la plus belle collaboration entre les deux hommes. La partition de Shore est à l’image de la réalisation du film : à la fois sobre et complexe, aux sonorités électroniques quasi religieuses, celle-ci envoute complètement, et ajoute la dernière pierre qui aurait pu manquer à l’édifice.
A noter que la copie 2K que l’on peut découvrir en salle est d’une beauté sans nom et rend totalement justice à cette pépite du 7ème Art. Vous savez ce qu’il vous reste à faire : à l’heure où le cinéma a une tendance à s’autoparodier avec des films ne croyant plus en l’intelligence du spectateur, un film comme Videodrome s’impose comme une œuvre d’utilité publique ! Vous savez ce qu’il vous reste à faire; vous foncez dans les salles obscures, et vous vous prenez ce putain de film comme il se doit : en pleine gueule.
Claude S.
Note du rédacteur: 5/5 (chef-d’oeuvre)
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