mardi 16 mai 2017

Message From The King, de Fabrice Du Welz

Il va être particulièrement complexe pour moi d’aborder la dernière oeuvre du cinéaste Fabrice Du Welz, Message From The King, de manière mesurée. Non seulement parce que j’ai toujours eu un faible pour les polars urbains, dont les thématiques liée intrinsèquement à ce genre me touche avec une viscéralité que je ne retrouve presque jamais ailleurs, mais surtout parce que je suis un admirateur sans nom de son metteur en scène. En effet, Fabrice Du Welz est une sortie d’ovni dans le cinéma actuel, le genre de mélange parfait entre le cinéma de genre et le cinéma d’auteur à tendance Art et Essais, et dont Calvaire et Alleluia se sont imposés à mes yeux comme des chef-d’oeuvres absolus. Des oeuvres esthétiquement somptueuses, ou la symbolique présente ne plaçait jamais de mise à distance entre le spectateur et l’oeuvre, et ou le récit était constitué d’un mélange des genres à la fluidité exemplaire. Premier film de commande aux États-Unis pour son auteur, ou se situe donc Message From The King dans la filmographie de Du Welz ?

Ce film, c’est l’histoire de Jacob King. Originaire de Cape Town, celui-ci débarque à Los Angeles avec 600$ en poche pour partir à la recherche de sa soeur, dont il n’a plus eu de nouvelles depuis un bon moment. Mais rapidement, Jacob découvre que sa soeur a été assassiné, et il décide de partir à la recherche de ceux qui lui ont ôté la vie pour comprendre leurs agissements, et bien évidemment la venger. L’histoire, classique, n’est pas le véritable intérêt de ce film. Certes, l’intrigue est très bien écrite, et il serait de mauvaise foi de ne pas féliciter les scénaristes, Oliver Butcher et Stephen Cornwell, qui ont été capable de construire un récit fascinant dont il est impossible d’imaginer les aboutissants. Il faudrait d’autant plus saluer leur audace d’avoir construit une intrigue qui prend réellement son temps, de ne pas avoir cédé à de l’explication incessante et d’avoir joué la carte des révélations distillées au fur et à mesure du récit. Mais la véritable puissance scénaristique du film est l’écriture des personnages, appartenant certes tous à des stéréotypes du genre, mais ayant chacun une dimension psychologique réellement développée. Exploitant au maximum le fait d’avoir un personnage étranger à cet univers, on est constamment en identification totale à ce personnage et la manière de nous faire suivre ce personnage de détective malgré lui dans la première partie est une réussite totale. Les seconds rôles ne déméritent pas non plus, et bénéficient également d’une caractérisation réellement travaillée, rendant ce polar plus existentialiste qu’autre chose. 

Mais le point le plus marquant de cette oeuvre, et qui fait que j’y voue une très grande admiration, c’est bien évidemment ce que j’avais évoqué dans mon introduction: Fabrice Du Welz. En filmant Message From The King au 35mm, fréquemment caméra au poing, celui-ci retrouve son gout très prononcé pour le rendu de la pellicule, et il faut vraiment admettre qu’en l’état, on n’avait pas vu un travail sur l’image aussi beau depuis Alleluia. Mais surtout, en filmant l’Amérique en 35mm, celui-ci retrouve un style visuel proche du cinéma des 70’s, des polars noirs qui ont marqué cette époque, et inscrit pour la première fois dans sa filmographie une oeuvre véritablement référentielle. 
Mais ce n’est pas pour autant que celui-ci dénature son style, loin de là. On retrouve également son goût pour des plans assez longs, permettant aux personnages d’exister vraiment dans le récit. La première séquence du film, l’interrogatoire de Jacob à la douane américaine est notamment marqué par un plan assez long sur le visage de son protagoniste, dont un très léger zoom à peine visible permet d’amener la proximité qu’il y aura entre ce personnage et le spectateur. Et c’est bien là le point le plus bluffant de la mise en scène de Message From The King: grâce à des choix de cadres d’une très grande intelligence, Fabrice Du Welz réussit le véritable exploit de nous faire nous identifier à un personnage mystérieux dont on ne sait presque rien hormis ce qui le motive à venir aux États-Unis. Filmant génialement son personnage (dont l’interprétation par Chadwick Boseman est un sans faute également), on a ainsi constamment l’impression de connaitre cet homme et nous fait complètement oublier pendant le récit que l’on ne sait finalement rien de lui, rien de son passé. 

On pourra bien sûr reprocher par moment au film d’étirer un peu trop son récit. On pourra reprocher l’écriture de certains dialogues s’avérant être un peu trop clair par moment au point de paraitre légèrement forcés. Et on pourra lui reprocher les quelques plans aériens de la ville, probablement des stockshots nullement tournés par l’équipe du film, dont le traitement visuel clairement numérique lisse beaucoup trop l’image par rapport au reste du film. Mais il serait malhonnête que de s’attarder sur des légers défaut ne gênant nullement le visionnage du film.

Il ne s’agit certes pas là du meilleur film de Fabrice Du Welz, mais on peut bel et bien dire qu’il a pris une bonne revanche. Si l’on se remémore les mésaventures qu’il avait connu sur son Colt 45, on pourrait même avoir le sentiment que Message From The King est tel qu’il est grâce à cet autre film, comme si Du Welz avait fini par mettre en image ce qu’il n’avait pas pu faire précédemment. Et en l’état, il s’agit très clairement du meilleur polar que l’on ai pu voir cette année. Autant dire qu’il faut vraiment foncer voir ce bijou au cinoche: la France est le seul pays dans lequel celui-ci bénéficie d’une sortie salle, Netflix ayant racheté les droits pour l’exploitation à l’étranger. Raison de plus pour courir dans les salles obscures.


Claude S.
Note du rédacteur: 4,5/5 (Excellent)

lundi 8 mai 2017

Tunnel, de Kim Seong-Hun

Alors là, impossible de ne pas évoquer en ce début de mois de mai la sortie de l’une des oeuvres les plus puissante qu’il m’ai été donné de voir depuis des plombes ! Après m’être coltiné navet sur navet au mois d’avril et n’avoir eu de véritable espoir dans le cinéma qu’en visionnant des classiques ou des films à budget minuscule avec une sortie quasiment confidentielle, vous n’imaginez pas le bonheur que l’on puisse avoir en découvrant cet incroyable Tunnel, petite perle tout droit sortie de la Corée du Sud. 

Deuxième film du réalisateur coréen Kim Seong-Hun après le polar Hard Day, Tunnel pose une histoire d’une simplicité enfantine: un père de famille rentre en voiture chez lui, dans l’espoir de fêter l’anniversaire de sa fille. Mais sur le chemin du retour, le tunnel qu’il est en train de traverser s’écroule sur lui, le laissant piégé sous les débris. Réussissant à contacter l’extérieur, tous les moyens sont mis en oeuvres pour essayer de le sortir de là… Oeuvre ouvertement politique, Tunnel est une oeuvre dans la lignée des films auxquels la Corée du Sud nous avait habitué. Véritable mélange des genre, allant du film catastrophe à la comédie en passant par le drame, permettant par le biais du cinéma de genre de dresser un état des lieux sur la situation coréenne actuelle. Il s’agit là d’une oeuvre complètement pamphlétaire, d’une charge contre un état faisant son travail par dessus la jambe puis se gratifiant d’être des héros en allant sauver les dommages qu’ils ont eux même causés. Il faut voir ses longues séquences d’impuissance des membres de l’état face à la situation, bloquant d’autant plus les personnes qui ont les capacités d’agir au moment ou ceux-ci le souhaitent. Il faut voir les scènes comiques (que ne renierait surement pas le Bong Joon-Ho de Memories of Murder ou encore de Mother), ou ces membres politiques jugent plus important de prendre la pose aux côtés de la femme de la victime lorsque ceux-ci arrivent sur le terrain face aux journalistes, que de se dépêcher d’aller voir ou en est le sauvetage en cours.

Mais la qualité première de Tunnel n’est pas tant cette charge politique mise en avant au début du récit que d’avoir réussi avant tout à peindre le portrait de personnages d’une richesse absolu et totalement inattendue. Il s’agit là avant toute chose d’une oeuvre profondément humaine, faisant la part belle à ses personnages, interprétés tous sans exception par des acteurs complètement habités par leurs rôles. Il faut voir l’évolution du personnage principal (joué par Ha Jung-Woo, personnage principal de l’excellent The Murderer), ou une petite phrase anodine parvient à mettre en avant tout un pan de sa personnalité, ou un geste témoigne d’une évolution de sa part. Tantôt lâche, tantôt dévoué, celui-ci s’avère être à lui tout seul un personnage fascinant, pourtant présenté et mis en place avec une apparente simplicité vraiment déconcertante. Il faut voir le personnage de la femme de cet homme (interprété par Bae Doona, vu dans Sympathy for Mr Vengeance et The Host, mais également dans Cloud Atlas et Jupiter: Le Destin de l’Univers des soeurs Wachowski), personnage magnifique d’une femme aimante sur laquelle la malchance à frappé, désespéré et dépassé par les évènements, mais souhaitant quand même aider, de la manière la plus simple qui soit. Il faut voir ce personnage d’interlocuteur avec le personnage principal, d’une humanité par instant bouleversante, voyant les choses lui échapper petit à petit sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Et surtout, il faut voir la maestria avec laquelle est écrit le scénario, réussissant à imposer une sorte de présence constante avec le personnage de la fille du personnage principal, pourtant jamais présente à l’écran, mais dont les quelques références parviennent à créer des enjeux et une symbolique d’une puissance que l’on ne voit que trop rarement. 
En plus de cela, il faut bien sur féliciter la réalisation de Kim Seong-Hun, d’une justesse et d’une élégance folle. Jamais ostentatoire, ne cédant jamais aux effets faciles que pourrait amener son scénario, cette réalisation est d’autant plus impressionnante que celle-ci s’adapte parfaitement au mélange des genre précédemment évoqué, dont les ruptures de tons incessantes s’avèrent être d’une fluidité exemplaire et accentuent d’autant plus le propos du film. Et il faut surtout reconnaitre à Kim Seong-Hun d’avoir eu la capacité de s’effacer derrière sa caméra, permettant ainsi au film de développer cette incroyable puissance émotionnelle durant une grande partie du récit.

Il est donc dommage et même déstabilisant de voir que la dernière demi-heure du film sombre dans les défauts que le film avait été capable d’éviter avec intelligence. Comme par peur de ne pas être suffisamment compris par son public, Kim Seong-Hun charge un peu trop la mule et fini par balancer au visage du spectateur le propos du film, hélas, sans aucune finesse. Ainsi, la conclusion s’avère être vraiment déceptive pour le public, même si en soit, la réalisation s’avère être tout aussi brillante que ce à quoi le film nous avait habitué.

Mais en soit, vous l’aurez malgré tout compris: il s’agit là d’une petite baffe dans la gueule. Même si il est impossible de crier au chef-d’oeuvre à cause de cette dernière partie rendant le film assez inégal, Tunnel reste une oeuvre qu’il faut vraiment courir découvrir sur grand écran. Non seulement pour soutenir les sorties de films alternatifs en France et ne pas les voir uniquement sortir en DVD et Blu Ray dans l’indifférence générale, mais surtout parce que vous allez découvrir une histoire d’une puissance rare, qui suscite en nous une émotion comme peu de films récent peuvent se targuer d’être capable de procurer.


Claude S.

Note du rédacteur: 4/5 (Très bon)

L'invasion des profanateurs, de Philip Kaufman

En 1956 sortait sur les écrans américains L’invasion des profanateurs de sépultures, film de science-fiction réalisé par Don Siegel et adaptation d’un roman écrit par Jack Finney en 1955. Racontant l’invasion dans une petite ville américaine d’extraterrestres s’appropriant les corps de la population locale pour les transformer en êtres dénués de toute forme d’émotion, le film s’est rapidement avéré être une oeuvre culte pour les cinéphiles, d’autant plus auréolé d’une aura d’oeuvre témoignant de la peur du communisme aux États-Unis. En effet, la nature même de la menace résidant majoritairement dans l’idée de l’uniformisation de la pensée évoquait à la critique américaine le fait que cette menace s’apparentait à celle avec laquelle leur pays menait la guerre froide. Idée réfutée par Don Siegel lui-même, expliquant que la menace du film était une symbolique des studios de productions hollywoodiens, ne vivotant que grâce à leurs succès sans la moindre prise de risque, sans jamais remettre en cause le fonctionnement de leurs entreprises, déclarant à ce propos qu’« ils n’étaient pas autre chose que des légumes vivants ! ». Le roman connu trois nouvelles adaptations: l’une en 1978, réalisée par Philip Kaufman, une autre en 1993, sobrement intitulée Body Snatchers et réalisée par Abel Ferrara, et la dernière à ce jour, Invasion, réalisée par Oliver Hirschbiegel. Celle qui nous intéressera vraiment aujourd’hui est la version de 1978, L’invasion des profanateurs, avec Donald Sutherland et Brooke Adams dans les rôles titres, qui sort enfin en Blu-Ray chez nous après des années d’attente.

Petite perle du cinéma d’horreur, L’invasion des profanateurs est sans conteste l’un des meilleurs film de body snatcher jamais réalisé. Oubliez la parabole du communisme ou des studios américains, celui-ci est avant tout une pure oeuvre viscérale, héritière du cinéma des années 1970. Utilisant brillamment le style visuel que Alan J. Pakula avait pu imposer avec ses thrillers politiques paranoïaque comme Klute ou À cause d’un assassinat pour l’inscrire dans un film de terreur pure, le film de Kaufman est probablement l’une des oeuvres de science-fiction ayant le plus marqué la pop culture. La mise en scène de Kaufman alterne en effet des longs plans contemplatifs laissant naitre le malaise de par ses choix de cadres cachant volontairement des pans entiers des décors lui permettant de suggérer que l’horreur est proche, et des séquences incroyable en caméra portée ou l’instabilité des cadres témoignent la fois de l’insécurité de plus en plus présente dans la ville et de la paranoïa des personnages s’installant progressivement chez les protagonistes. Ces partis pris de réalisation eurent en soit une assez grande importance dans l’histoire du cinéma, plus encore que l’on veuille véritablement l’admettre, puisque ceux-ci marquèrent le cinéma fantastique au point d’être encore utilisé de nos jours. 

En plus de cela, il faut bien reconnaitre à Philip Kaufman un grand talent pour amener un malaise en crescendo. De la première à la dernière image du film, la tension est omniprésente. L’ouverture du film, un générique nous présentant la menace et son chemin jusqu’à notre planète est une petite leçon, et la première heure du film jouant majoritairement sur l’imagination du spectateur est une réussite incontestable, car Kaufman utilise constamment le concept même de ce qu’implique un film de body snatcher: toute personne qui est sortie du cadre est potentiellement un ennemi lorsque celui-ci ré-apparait. Et lorsque le récit est complètement lancé, laissant place à une course poursuite d’une viscéralité surprenante, il faut reconnaitre à Kaufman une maitrise des effets chocs. Il faut voir ce moment ou un chien à tête d’humain apparait à l’écran, où la stupéfaction due à l’absurdité de la situation laisse rapidement place à une véritable peur de ce qui nous est présenté à l’écran. Et il faut voir la maestria avec laquelle celui-ci nous terrifie juste avec le cri des extraterrestres (permettant de signaler entre eux ou se situent les êtres humains), idée complètement absente du film d’origine, mais qui sera par ailleurs ré-utilisé dans la version d’Abel Ferrara.

Bref: vous l’aurez compris, L’invasion des profanateurs est un indispensable pour tout amateur de cinéma qui se respecte. Pour ceux qui l’avaient déjà, vous pouvez désormais revendre votre vieille édition DVD absolument lamentable éditée par MGM qui avait le mérite de ne pas inclure de sous-titre français, forçant ainsi les non-anglophones à se taper le film en VF. Et pour ceux qui n’auraient pas encore eux la chance de découvrir ce classique de la terreur, vous pouvez foncer en magasin l’acheter les yeux fermés. Jamais vous ne regretterez les 20€ déboursés pour cette édition rendant vraiment hommage à ce magnifique film, dont on ne mesure jamais suffisamment son importance.


Claude S.

Note du rédacteur: 4,5/5 (Excellent)