Percy Fawcett, colonel anglais ne parvenant à s'extirper de la (mauvaise) réputation paternelle, est chargé par la Société royale de géographie de cartographier la frontière Bolivienne au beau milieu de l'Amazonie. Découvrant ce qu'il pense être les traces d'une civilisation ancienne, il commencera alors la quête d'une vie à la recherche d'une cité perdue dont on ignore l'existence...
Annonçons le tout de suite: The Lost City of Z n’est pas un film d’aventure. Il n’y a pas de scènes épiques, il n’y a pas de preuves de la violence de la jungle, on y tremble pas pour le personnage principal. TLoZ est un drame, comme tous les films de James Gray. S’il sera particulièrement difficile pour les cinéphiles d’enlever de leur esprit les incroyables films d’Herzog (Aguirre, Fitzcarraldo), Coppola (Apocalypse Now) ou encore de l’exceptionnel Friedkin et de son Sorcerer, il sera difficile de nier que Gray parvient à y insuffler son style et à s’en différencier.
L’un des auteur américains les plus précieux de ces dernières années, James Gray, quitte donc l’univers urbain et New-Yorkais de Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient, Two Lovers et The Immigrant pour l’Angleterre bourgeoise, l’Amazonie et même les champs de batailles français du début du XXème siècle.
C’est peu dire que Gray sera sorti de son confort pour ce film: outre les lieux et l’époques, c’est aussi la première fois que Gray s’attaque à des faits réels, tirés de la biographie de l’explorateur Percy Fawcett, et à un récit se déroulant sur plusieurs décennies. Le tout sur fond de tournage dans des conditions extrêmement difficiles. Et c’est là que le film pourra vous dérouter: si les récits du tournage sont épiques, le film lui évite totalement l’aventure. Tout du moins l’aventure « classique » de ce type de récit. Ici, pas d’affrontement avec des singes criant et se balançant de liane en liane. Pas de bateau dérivant par la force de la rivière. Pas de tribus mangeuse d’hommes et de tortues. Les rares scènes d’actions sont présentes dans la bande-annonce. Et ne sont pas plus longues dans le film. Non, ici, Gray nous offre un voyage dans la psyché de son personnage et de son désir de s’affirmer comme individu, pour sortir d’une société cherchant constamment à l’enfermer dans une case, par ses faits d’armes (héros de guerre) ou par les actions du père (un voyou ayant amené la disgrâce sur son nom.). Cette histoire d’un homme tentant de s’arracher à sa « famille », pour être reconnu par ses contemporains, cherchant à quitter le monde ordinaire pour quelque chose de plus « grand » et pouvoir s’affirmer comme un être à part entière, cette histoire est au centre de chaque film de l’auteur. Et probablement la volonté même de James Gray en tant que cinéaste: parvenir à quitter ses influences pour trouver son propre nirvana. Ce n’est pas pour rien que ce film semblerait être celui d’un auteur , jouant avec les codes de ses « maîtres » mieux les (s’en) détourner, et atteindre dans sa dernière scène une poésie visuelle très osée pour le metteur-en-scène, et embrasser ses influences pour imposer son propre style.
Le récit aborde des thématiques passionnantes, en parvenant à éviter un manichéisme mal venu. Par exemple, les sauvages ne sont ni bons, ni mauvais. Certaines tribus sont pacifistes, appliquant des techniques d’agricultures même inconnus par le monde « civilisé », d’autres n’hésiteront pas à croquer de l’homme blanc, mais non pas par sauvagerie, simplement par croyance. On y aborde aussi la question du progressisme: dans cette société anglaise hostile à tout changement pouvant indiquer que la nation de la reine n’est pas l’évolution ultime de l’homme, Fawcett défend la théorie que les « sauvages » sont l’égal de l’homme dit civilisé. Pourtant, Fawcett n’hésite pas à dire clairement à sa femme que son sexe l’empêche de faire partie de l’aventure avec lui et que sa place est à la maison avec les enfants. De même, l’obsession de Fawcett part d’un sentiment égoïste pour devenir quelque chose de beaucoup plus transcendentale, loin de la figure de l’aventurier cherchant la fortune et devenant fou à cause de « l’or perdu de la tribu des culottes en feuille de palmier » qu’on peut retrouver dans ce type de récits.
Bien évidemment, porter une écriture aussi dense et subtil n’est pas chose aisée, et s’en retrouve ici facilité par un casting talentueux: la beaucoup trop sous-exploitée Sienna Miller, à la sensibilité rare et touchante, Charlie Hunnam nous livrant une partition authentique et attachante d’une personnage pourtant complexe et égocentrique, Robert Pattinson, qu’on aura du mal à reconnaître, dans la retenue la plus totale et qui prouve que malgré tout, Twilight nous aura offert des acteurs qui comptent entre 2 loup-garous torse-poil. Et il en fallait des acteurs de cette stature pour donner vie à une histoire aussi dense, quête impossible d’une cité dont on ne saura jamais si elle était réel, à part pour Percy Fawcett. Cette quête épique s’achevant sur un troisième acte déchirant, dans une scène père-fils face à une tribu absolument hallucinante de beauté et de profondeur.
Servi par une photographie au style particulier (comme si on avait stabiloté la pellicule pendant toute une partie du film) mais au combien cohérente avec la mise-en-scène, Gray se sert de la forme du film classique (il cite notamment « Le Guépard » de Visconti comme référence principale) pour mieux le dynamiter de l’intérieur, se permettant des effets de découpage mettant en avant une profondeur supplémentaire à la psyché de son personnage. Par exemple ses statues, censée prouver l’existence de la cité de Z, qui par un jeu de découpage simple (Personnage seul, champ-contrechamp avec la statue, action empêchant le héros d’avancer et devant reculer), donne au film un ton fantastique sans jamais l’appuyer.
Gray joue avec la durée et le temps du récit pour nous faire entrer en osmose totale avec son personnage, et son « obsession » pour sa recherche d’une vérité supérieure dans la jungle amazonienne qui pourrait lui permettre d’échapper à une civilisation occidentale cherchant à réduire et écraser les individus la composant.
On pourra cependant lui reprocher un récit tardant à se mettre en place, et une structure inattendue qui pourra en étonner, voir en décourager, plus d’un.
The Lost City of Z est une aventure intime. Si vous vous attendez à y trouver de l’action palpitante, vous risquez de tomber de haut. Comme si vous pensiez trouver du Brad Pitt de Troie dans l’Iliade d’Homère. James Gray nous offre une sublime parabole sur un homme cherchant à trouver la vérité, le sens ultime de sa vie, parvenant à atteindre la transcendance, celle que tout un chacun voudrait atteindre sans nécessairement s’en rendre compte. Film mémorable, se métamorphosant et se découvrant à chaque fois que vous y réfléchirez, il signe là son film le plus personnel, et une des plus belles réflexions sur notre monde actuel et ses travers, voir sur l’humanité, conférant au film un aspect intemporel et universel. Et dire que l’on est excité par l’idée de voir l’auteur se confronté au genre de la science-fiction dans son prochain film serait un euphémisme.
4,5/5 (Excellent)
Antoine T
un article de qualité
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