lundi 27 mars 2017

Grave, de Julia Ducournau

C’était le genre de film que je m’apprêtais à aller voir sans coup férir. M’abandonnant totalement à ce qu’il avait à me raconter, fort de sa réputation acerbe et de son statut transitoire pour le genre français. Claude, parmi les plus radicaux détracteurs de Grave que je connaisse, m’avait pourtant prévenu : « Le film est, au mieux, anecdotique ». Tâchons de faire fi de tout jugement, pensais-je, et allons-y sans s’y opposer d’emblée, mais également sans s’en réjouir. 



Je garde néanmoins dans un coin de ma tête que le film a reçu le Prix Fipresci de la critique internationale à Cannes; le grand prix et le prix du public au Festival européen du film fantastique de Strasbourg; le prix du meilleur premier film au festival du film de Londres; le grand prix du festival international du film de Flandre-Gand; le grand prix et le prix ciné+ frisson au PIFFF, ainsi que le grand prix et le prix de la critique à Gérardmer. Rien que ça.



Justine, jeune dernière d’une famille de végétariens, intègre à 16 ans une école vétérinaire où elle rejoint sa sœur aînée. Lors d’un bizutage, elle se force à manger un rein de lapin cru. Si le dégoût est clairement son premier ressenti, il laissera rapidement place à une fascination qui l’emmènera vers d’autres sentiers que la viande de léporidés.

C’est alors que les distributeurs ont commis une erreur à la fois grossière et compréhensible. Il faut vendre le film à tout prix. Plutôt que de laisser place à la surprise et au choc qui auraient découlé de la révélation de la nature de Justine, les distributeurs nous la donnent dès le trailer pourtant particulièrement bien pensé. Et plus encore, puisqu’il est difficile d’aller voir le film sans être au courant du postulat, quand bien même nous prêtons une attention particulière à ne pas suivre sa promotion, et ne rien en lire, etc… Inutile de vous dire que le plaisir se voit amoindri lorsqu’on sait par avance ce que l’on va aller voir. Également, ils appuient leur promotion sur la violence outrancière du film, se servant de quelques évanouissements à Toronto et de sacs à vomi disposés dans les salles angelines. Une communication d’autant plus frustrante que, récemment, des films comme Green Inferno ou Bone Tomahawk se sont montrés bien plus violents et cruels. Parallèle intéressant étant donné que la thématique brute des trois films est similaire.

Si la photo de Ruben Impens (Alabama Monroe, Black Mirror) est singulièrement réussie et cohérente avec le propos et l’ambiance globale du film, Grave souffre parfois d’un trop-plein de bonne volonté, de plans à visées esthétisantes voire franchement poseurs, comme ce plan-séquence situant Justine dans une soirée d’intégration organisée par les étudiants les plus âgés de l’école pour les nouveaux venus. Aujourd’hui, il paraît impossible de filmer une soirée autrement, le personnage déambulant plus ou moins adroitement au milieu de corps qui dansent, suivi par une caméra à l’épaule la suivant comme son ombre. La définition même de l’expression « se regarder filmer ». Le plan n’a en effet pas de raison-d’être narrative autre que la virtuosité d’une telle mise en place, qui aurait cependant gagné à être coupé pour appuyer la perte de Justine dans cet environnement nouveau et à l’apparence hostile. C’est sans doute ce qu’aurait proposé Alfonso Cuaron, qui, dans sa maîtrise inégalée du plan-séquence, sait utiliser une mise en scène plus traditionnelle et moins tape-à-l’oeil lorsque le propos s’y prête. 



Des plans poseurs comme celui-ci fourmillent dans Grave, laissant parfois au spectateur l’impression de regarder un enchaînement de cadres sans réelle articulation et sans autre sens que la symbolique marchant sur le réalisme. Comme des tableaux, en somme. Un autre plan typique est sans conteste celui, à nouveau dans une soirée, qui met en scène Justine, assise sur une table, les jambes écartées, la main sur l’entrejambe et s’humectant les lèvres. Vous comprenez la symbolique ? Elle a faim. Ou encore ce plan du cheval courant sur un tapis, rappelant le travail d’Eadweard Muybridge sans qu’on ne comprenne bien pourquoi il s’insère dans le montage final, si ce n’est pour sa qualité esthétique (ces deux derniers plans sont visibles dans le trailer, pour les plus intéressés). Ou celui qui emprunte, peut-être inconsciemment, à Eros Necropsique, groupe qui propose des prestations scéniques avec un homme recouvert de peinture bleue et une femme recouverte de jaune, qui finissaient tous deux en vert. Ou quand le fait de s’approprier des univers dépasse le cadre de la citation pour entrer dans celui du plagiat.

Il me faudra également revenir sur un problème purement scénaristique, qui m'oblige au spoiler, et qui m’aura empêché de rentrer tout à fait dans le film. En effet, celui-ci propose un retournement de situation à mi-parcours mêlant la sœur de la protagoniste à une banalisation du cannibalisme. Il devient alors moins tabou, moins prégnant, moins profane. La réaction de sa sœur lors d’une des scènes clefs du film (spoiler : lorsque Justine coupe le doigt de sa sœur par mégarde et qu’elle finit par le dévorer alors que sa sœur a perdu connaissance. Elle se réveillera et prendra Justine sur le fait. Alors qu’on s’attend forcément à quelque chose de génial découlant de cette scène, la sœur finira par rassurer Justine, en lui-disant qu’elle comprend, qu’elle aussi est cannibale, que ce n’est pas si grave... Bien sûr que si, c'est grave ! Même pour un cannibale, bon sang !) ne fera qu’appuyer le fait que le film n’ose pas réellement s’immiscer dans une gravité de ton totale, distordant la réalité pour nous faire pénétrer un monde surréaliste où les tabous ne semblent pas tout à fait être les mêmes que chez nous. Également, le fait de poser la cannibalisme comme une maladie héréditaire et génétique est absolument aberrant, et donne à voir la péloche non pas comme un sous-genre du film de cannibale qui prend son sujet avec conviction, mais plutôt comme un film de genre qui utilise ce prétexte pour parler plus librement de ce que c’est de devenir une femme. Une orientation d’autant plus dommage que le film se clôture en plus avec une petite pirouette malvenue, pour le coup outrancière, poussant la blague et l’explication de texte vers l’absurde. Pourtant, nul doute que l'écriture du film n'a pas été prise par-dessus la jambe, en témoigne le grand soin apporté aux dialogues, et à la prise de tête qui aura permis de ne faire prononcer le mot "grave" qu'une seule fois sur le 98 minutes que dure le film. Lorsqu'un personnage demandera à Justine si elle cache quelque chose d'important, si celle-ci a un problème particulier, elle finira par concéder : "C'est grave". Détail amusant.

En résulte mon avis sur Grave. Je ne m’y oppose pas et je ne m’en réjouis pas. C’est un premier film certes honnête mais loin d’être dénué de défauts et, surtout, loin de valoir ce buzz ahurissant et quasi-unanime.




Jérémie N.

Note du rédacteur : 3/5 (Honnête)

0 commentaires :

Enregistrer un commentaire