samedi 4 février 2017

Cruel, d'Eric Cherrière

On exagèrera rien en disant que voir Cruel dans une salle de cinéma relève du parcours du combattant. Si vous n’êtes pas parisien, n’y comptez tout simplement pas, le film étant diffusé dans deux salles avec un total de trois séances quotidiennes. Un constat d’autant plus amère que la péloche présente de vraies qualités. Premier long d’Eric Cherrière, le film nous place aux côtés de Pierre Tardieu (Jean-Jacques Lelté, froid et terrifiant), serial-killer méthodique qui décidera de mettre de côté 10 les règles qu’il s’était fixé afin d’exister aux yeux d’un monde aussi froid et systématique que lui.



L’ouverture du film parle pour elle-même : Cruel ira droit au but et ne lésinera pas dans l’amoral. En tout cas, de notre point de vue. La morale étant ici biaisée et placée d’un autre point de vue, s’éloignant de nos conventions pour en adopter d’autres, celles de cet espèce de Norman Bates toulousain qui suivra ses victimes des semaines durant avant de les enlever, de les séquestrer et de les assassiner. La prestation hypnotisante du protagoniste détruira lentement les espoirs de ses victimes quant à la possibilité d’échapper à leur destin dans des échanges verbaux insidieux et féroces, parfois plus violents que les coups qu’ils subiront quelques minutes après. Le côté naturaliste et minimaliste des séquences qui rassemblent victimes et bourreau leur donne un impact d’autant plus fort que la crudité des images baigne dans la véracité. Le film n’en est que plus poisseux et viscéral, chaque séquence, même banale, participant à la construction d’une atmosphère sinistre et funeste. La volonté pour le réalisateur de coller au quotidien encroûté de ce quarantenaire névrosé, utilisant les mêmes techniques pour stalker ses victimes que pour draguer la nana qu’il convoite, rend l’analyse de ce personnage aussi romantique qu’azimuté presque scientifique.

On prendra chaque mot qu’il dit pour le resituer dans un contexte global et essayer d’en établir le background. De même pour chaque action, chaque intention. On ajoutera les ingrédients que livre le film, comme le rôle de son père atteint d’alzheimer duquel il s’occupe comme si le grabataire était à la fois son fils et son meilleur ami, ainsi que l’arrivée d’une femme dans sa vie, comme autant de choses qui développeront considérablement la psychologie d’un personnage aussi complexe qu’intéressant. On regrettera néanmoins quelques aspects narratifs assez discutables, comme l’omniprésence de l’enfance chez un personnage qu’on imagine tout de même moins cernable qu’un simple cliché freudien qui souffre de la mort de sa mère et du désaveu de son père. On regrettera également ce qu’on pourrait prendre pour une crainte d’aller jusqu’au bout de son propos dans la dernière ligne droite du film. Enfin, le reproche le plus évident se portera du côté de la technique, noyant d’excellentes idées de mise en scène dans des plans et des éclairages qui manquent cruellement d’ambition visuelle, ou qui, pour certains, laissent une marque amateuriste dans tout ce que le terme peut avoir de plus péjoratif.

Toujours est-il qu’il est difficile pour moi de bouder mon plaisir devant une péloche française qui propose une vraie idée de cinéma et d’écriture, et qui n’a pas peur de développer un personnage aussi déroutant que clivant. Le film peut ne pas séduire si tant est que les ambiances mornes et contemplatives ne convainquent pas. Je me suis vraiment laissé bercer sans avoir trouver le temps long malgré d’objectives baisses de rythme, maintenues hors de l’eau par un protagoniste qui peut péter à plomb d’une minute à l’autre et qui ne laisse pas vraiment de répit, cachant sa colère destructrice sous un calme olympien d’une extrême fragilité. Quand le terme « associal » prend tout son sens, quand la frénésie meurtrière ne se justifie que par le besoin de détruire des vies pour respirer sereinement l’air du monde et s’y sentir vivant. Cruel est un vrai film de genre et une vraie proposition alternative. Un bon et surprenant premier long malgré d’évidents défauts. Ne le laissez pas passer, donnez-lui une chance, et laissez-vous porter.







Ferdinand Bardamu



Note du rédacteur : 3,5/5 (Bon)

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