lundi 13 février 2017

Silence, de Martin Scorsese

Il aura fallu 27 ans à Martin Scorsese pour réussir à adapter sur grand écran le roman de Shūsaku Endō. Déjà adapté en 1971 par le cinéaste Masahiro Shinoda (réalisateur des excellents Fleur pâle et La guerre des espions), le projet Silence fut mainte fois reporté, au point que l’on finisse par douter de sa finalité. Mais c’est maintenant chose faite : le grand Martin a finalement réussi à en réaliser l’adaptation. Et même si il ne s’agit pas là de son meilleur film, une chose est sûre : malgré tous les petits défauts que l’on peut y trouver, il s’agit d’une très grosse claque dans la gueule. Et il s’agit aussi clairement d’une date dans la filmographie de son auteur.


Narrant comment deux missionnaires portugais partent pour le Japon après avoir reçu une lettre de leur mentor dans l’espoir de le retrouver, le film de Scorsese s’impose tout autant comme une réflexion sur la foi que comme une somptueuse déclaration d’amour au cinéma japonais. Je ne ferai pas l’affront de présenter Martin Scorsese : non seulement parce qu’il faudrait un livre entier pour parler de sa filmographie, mais surtout parce qu’il s’agit de l’un des metteurs en scènes les plus connus au monde et que la plupart d’entre vous ont probablement déjà vu ses films. Ainsi, vous êtes déjà au courant que la religion occupe une assez grande importance dans son œuvre, et que ses œuvres les plus personnelles regorgent de symboles religieux. 
Mais contrairement aux apparences, il ne s’agit pas ici d’un film qui traite d’une religion en particulier. Ici, Scorsese traite de la guerre des religions, comment celle-ci fini par opposer alors qu’elle devrait réunir, comment celle-ci amène la haine de l’autre alors qu’elle est censée amener l’amour. Ainsi, l’enjeu principal du film consiste en une opposition des missionnaires chrétiens face à un État Japonais persécutant toute forme de christianisme, torturant et condamnant à mort les pratiquant religieux. Ceux-ci, convaincus par le bien-fondé de leur religion, refusent de voir ce qui se trouve ailleurs tandis que leurs opposants refusent d’accepter que certains villages de leur pays appartiennent à la chrétienté. Il serait donc une très grosse erreur d’y voir une œuvre propagandiste en faveur d’un camps en particulier au mépris d’un autre : il s’agit là tout simplement d’un film lucide sur la foi et les dérives qu’elle peut amener. Il s’agit d’une œuvre qui incite non pas à adopter une quelconque croyance, mais d’une œuvre qui incite à respecter les croyances de l’autre, mettant en avant durant toute sa durée qu’aucun discours, qu’aucune brutalité n’est en capacité d’amener un homme à changer de bord : selon Scorsese, la foi est profondément ancrée en l’homme et ce quelque soit son parcours. En témoigne cette fabuleuse séquence entre le père Rodrigues (joué par Andrew Garfield) et le personnage de l’interprète (Tadanobu Asano), ou chacun essaie de persuader l’autre de la véracité de sa religion, et ou bien évidemment, tous deux ont des réponses différentes, creusant le fossé entre les protagonistes.

Mais ce discours humaniste n’est pas le seul intérêt de Silence. La très grande cinéphilie de Martin Scorsese est connue de tous, et sa filmographie témoigne de cette ouverture d’esprit par rapport au cinéma international. En ce sens, sa dernière incursion vers le cinéma asiatique datait de 2006 avec son fabuleux remake de Infernal Affairs : Les Infiltrés. Mais si celui-ci s’imposait comme un véritable chef-d’œuvre qui dynamitait le style de Martin Scorsese, le lien avec le cinéma asiatique ne se limitait finalement qu’à une transposition vers les États-Unis du film d’Andrew Lau et d’Alan Mak. Avec Silence, Scorsese signe tout autant un film qui lui est propre, ou l’on retrouve son style de découpage, tout autant qu’un film extrêmement référentiel. Ainsi, Scorsese cite ouvertement Kenji Mizoguchi (Les Contes de la lune vague après la pluie) et surtout Masaki Kobayashi. En effet, il est absolument impossible de ne pas penser à la beauté des cadres d’Harakiri, et c’est en ce sens là que ce film est aussi particulier dans la filmographie de son auteur. En plus d’être doté d’une lumière à tomber par terre rappelant le cinéma japonais des années 1970, le film évoque par sa mise en scène le cinéma japonais, au point même que l’on oublie par moment que celui-ci est réalisé par le metteur en scène de Taxi Driver et de Casino, et que l’on en vient presque à se persuader que l’on est face à une œuvre inédite du réalisateur de Kwaidan, jusqu’à ce que la présence d’Andrew Garfield vienne nous rappeler les racines américaines du tout. Par ailleurs, un petit détail amusant venant prouver une dernière fois la cinéphilie variée de son auteur : on peut retrouver au casting le cinéaste Shinya Tsukamoto, génial metteur en scène trop injustement méconnu du grand public, et responsable du cultissime Tetsuo.

Il est très compliqué d’évoquer Silence sans trop en dévoiler par rapport à son intrigue. Mais que les choses soient claires: il s’agit là d’un film absolument unique dans la filmographie pourtant déjà très riche de son auteur. Alors oui, il est possible d’être légèrement rebuté par une durée un peu trop grande, ou une tendance à un peu trop vouloir appuyer son discours lors de certaines scènes, surement par peur de laisser le spectateur sur le bord. Mais malgré ses défauts évidents, il est impossible de ne pas être touché par l’incroyable beauté et l’intelligence de cette œuvre. Le grand Martin Scorsese nous prouve une fois de plus qu’il reste l’un des maitres du cinéma : capable de ré-inventer son style à presque chaque film, proposant constamment des thématiques fascinantes et refusant de prendre son spectateur pour un con. Vous l’aurez compris: il serait un sacrilège de ne pas aller découvrir cet excellent film sur grand écran.




Claude S.

Note du rédacteur: 4/5 (Très Bon)
Note de l'équipe : 3/5 (2 notes)

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