Premier long du fraîchement débarqué Eddie O’Keefe (28 ans), réalisateur au CV maigrelet puisque crédité en tant qu’homme à tout faire sur deux courts-métrages. Le premier, Sun Sessions (2008) et le second : The Ghosts (2011) auront permis à l’intéressé de trouver les investissements nécessaires à son passage au long avec ce Kill the King (Shangri-La Suite en VO), et d’embarquer avec lui Emily Browning (Sucker Punch, Sleeping Beauty) et Luke Grimes (American Sniper, Les sept mercenaires, ou Cinquante nuances de Grey pour que le situent ceux d'entre-vous qui ont des secrets inavouables) pour ce road trip qui fleure bon le film de festival. Entendez par là que son approche non-conventionnelle le prive automatiquement et catégoriquement de l’aseptisation des salles obscures et des réseaux traditionnels, O’Keefe shootant son poulain comme une vraie Bisserie des 70’s, aspect ultra-granuleux du 16mm fatigué, montage volontairement grossier et prises de son en direct à l’appui. Le postulat est simple : Karen Bird (Browning) et Jack Blueblood (Grimes) se rencontrent en cure de désintox’. Coup de foudre instantané qui poussera le grand nerveux psychotique et quasi-schizophrène Blueblood à défourailler le psychiatre de l’établissement, violeur récidiviste de sa belle. Avant de prendre la fuite, Blueblood avait fait part à la jeune femme d’un projet qu’il nourrissait de longue date : Fan d’Elvis Presley, Blueblood écoutait un album de son idole en reverse. Une écoute sous mescaline qui lui aura fait entendre la voix de sa mère, murmurant : « Kill Elvis… Kill Elvis ! ». En faut-il plus à nos héros pour partir sur les traces du King après s’être barrés de cette maudite clinique ? Que nenni.
C’est donc assez confiant qu’on embarque avec ces deux oiseaux, si tant est qu’on ait accepté l’approche stylistique volontairement datée qui sied parfaitement au propos. Hélas, quelques faiblesses apparaissent assez rapidement, notamment dans la caractérisation de quelques personnages secondaires qu’on aurait voulu moins expédiée. L’ami d’enfance de Blueblood en indien qui n’assume pas sa virilité, puis le père de notre junky de service qui l’avait battu toute son enfance, lui reprochant la mort de sa femme. On notera cependant un chouette King au bout du rouleau, alors filmé sur le déclin, peu de temps avant son décès. Loin du naturalisme d’un Last Days, O’Keefe fait ici le choix d’un King harassé et harassant, autrement dit chiant à crever, qui a perdu sa fougue, son envie, sa voix… son talent, en somme. Tout ce qui fait de lui une légende et qui l’éloigne du piètre monde des hommes. Blueblood apparait alors comme un justicier prêt à libérer de son mal un Elvis obligé de remonter sur scène pour satisfaire les besoins pécuniaires des investisseurs. Une cohérence d’autant plus bienvenue que tout ici est fauché : le talent de ce pauvre King, Blueblood qui fauche les vies de tous les tristes bougres se mettant au travers de son chemin, et le budget du film qui aide vraiment à rehausser un capital sympathie qui étale avec le coeur un bordel Do It Yourself qu’O’Keefe nous pond avec ses couilles et son marteau, comprendre "avec les moyens du bord, mais surtout, avec amour et conviction".
Dès lors, inutile de trop s’épancher sur les lacunes du film, le côté galvanisant du boulot de passionné prenant systématiquement le dessus. Ça manque parfois d’impact, souvent de rythme, mais jamais de volonté. On a l’impression de voir le film d’un pote, sur lequel il a travaillé 5 ans et investi absolument tout : son pognon et sa personne. Alors on regarde en passant outre les imperfections, et en suivant un fil qui ne se contente pas de citer les 70’s, mais qui se les approprie pour essayer d’en tirer quelque chose de bien plus personnel. Le mec a une vraie culture cinoche, c’est évident. Il en aura digéré un truc à sa sauce, bien plus habité que beaucoup de merdouilles qu’on a le bonheur de se taper à longueur d’année. Si vous vous lancez dans l’aventure Kill the King, vous ne materez pas un chef-d’oeuvre, loin s’en faut. D’ailleurs, certains ne comprendront pas l’enthousiasme de ces quelques lignes. D’autres comprendront le sentiment de fraîcheur que m’a suscité le visionnage, et pourront même faire un parallèle avec l’excellent The Battery (2012), film imparfait mais réalisé avec une telle conviction qu’il en devient hypnotisant.
Voilà ce que rappelle le visionnage de ce genre de péloche. Le cinéma a tendance à cruellement manquer de conviction. Un cinéma de commande, où les créateurs sont relégués au rang de techniciens, où la personnalité et la singularité des traitements proposés meurent face aux packagings et à la volonté de réaliser des films interchangeables en surfant sur des succès contemporains. Alors même si la copie n’est pas parfaite, que ça aurait pu être mieux dans la plupart des domaines, et même si Kill the King ne se hisse pas au-dessus du lot du cinéma indépendant, voyez-le. Ça fait du bien, et ça rappelle qu’il existe un autre cinéma, une autre façon de faire, une alternative à ce qui nous est proposé chaque semaine. Et terminons, si vous le voulez, avec un peu d’ironie : le film est bel et bien distribué par Universal.
Ferdinand Bardamu
Note du rédacteur : 3/5 (Honnête)
0 commentaires :
Enregistrer un commentaire