lundi 16 janvier 2017

La mécanique de l'ombre, de Thomas Kruithof


Premier film de Thomas Kruithof, co-écrit par Yann Gozlan, réalisateur de Captifs et d’Un homme idéal, il rejoint donc une mouvance du cinéma de genre en France débutée par Fred Cavayé et son co-scénariste Guillaume Lemans, lui aussi co-scénariste sur Un homme idéal, toujours de Yann Gozlan (tout est lié !), celle qui aime partir d'un postulat très "cinéma français" pour glisser vers le genre le plus total.
Kruithof parvient-il à concilier divertissement grand public et genre comme ses pairs ?

Après un burn-out, Duval (François Cluzet) se retrouve au chômage pendant près de 2 ans. Après un appel mystérieux, il se retrouve à travailler pour une entreprise de sécurité privée. Son travail est aussi secret qu’il est simple : retranscrire le contenu d’appels téléphoniques à l’aide de sa machine à écrire…

Froid, paranoïaque, bien mis-en-scène, réaliste et premier degré jusqu’au bout : on se laisse entraîner avec plaisir dans la descente aux enfers de Duval, qui débute dès la première scène : en l’espace de 5 minutes, Thomas Kruithof nous montre comment d’une situation à priori anodine (le patron demande à l’employé de remettre un dossier pour le lendemain matin), un homme se retrouve complètement brisé. En 5 minutes, ce que l’on voit est plus efficace que ¾ des films « sociaux » qu’on mange à la pelle depuis des années.

Le film contient peu d’action, on est dans une retenue et une économie rare : le réalisateur a conscience de son budget et n’essaie pas de « faire comme », mais se sert de son art pour en raconter le plus possible avec peu. Dans cette logique d’économie, les dialogues sont brefs, concis, sans surgras, et surtout servis par des acteurs impliqués et merveilleusement bien dirigés : Denis Podalydès, le grand manitou, passe de patron sympathiquement mystérieux à gros con effrayant en un regard; le trop rare et pourtant fantastique Simon Abkarian incarne un espion grande gueule, sympathique mais violent; Sami Bouajila tout en retenu et bien évidemment un François Cluzet qui achève de nous prouver qu’il est l'un des meilleur « everyday hero » du cinéma français.

Toutes ces interprétations nous plongent dans 
une paranoïa de tous les instants :  on se sent aussi perdu que le personnage, ne pouvant compter que sur lui-même pour en sortir. Le film évite d’être trop manichéen, notamment avec une fin (bien qu’expéditive, on y reviendra) qui amène un discours nuancé après avoir cru à un basculement avec les gentils/les méchants.
Bien entendu, s’inscrivant dans le film d’espionnage, on ne peut éviter un discours politique, ici très discret et avec suffisamment de distance pour l’évoquer sans lourdeur : sur fond de montée des extrêmes, on évoque le mensonge que peuvent provoquer l’interprétation des images, on prend soin de montrer le danger des écoutes, du numérique mais, plus original, de l’analogique : s’il doit taper à la machine à écrire, c’est pour éviter la fuite d’informations, et permet donc à une entreprise plus que louche une impunité totale. Le classique débat est posé : la sécurité au détriment de la liberté est-elle une solution viable ? Peu importe, de toute manière, peu importe la réponse : au final, c’est nous qui trinquons pour des gens qui n’ont que pour seul but le pouvoir.


Malheureusement, le film n’est pas exempt de défaut : sa structure et son rythme, partant de l’idée de faire du « métro-boulot-événement étrange-dodo »,  ne fait jamais avancer l’intrigue, qui n’avance que grâce à l’intervention d’un personnage tiers. Voir un vieil homme tout nu à travers le judas, ça met une ambiance bizarre, mais ça ne sert à rien. À part nous faire une espèce de screamer à la Derrick.
C’est d’autant plus dommageable que le film aurait gagné à être plus long, notamment dans sa 3ème partie, beaucoup trop expéditive et entraînant une fin bavarde pour nous expliquer ce que l’on aurait pu comprendre rapidement si seulement Thomas Kruithof s’était permis de distiller plus d’indices tout au long de son film. On aurait aussi aimé voir un peu plus de « folie » (pour un premier film, c’est malheureusement souvent le cas), qu’on pense ressentir à certains moments : il aurait pu nous offrir un film d’espionnage beaucoup plus sensoriel que la normale.

Le film est aussi beaucoup trop froid. Si cela participe à la bonne ambiance du tout, certaines relations entre les personnages en pâtissent : la première victime de cette froideur, le personnage féminin incarné par l’attachante Alba Rohrwacher. Si Thomas Kruithof et Yann Gozlan ont eu l’intelligence de ne pas nous imposer une romance malvenue avec le personnage principal, elle aurait mérité d’être présentée comme une bouffée d’air frais pour ce dernier. En dehors de lui, elle n’existe pas, et ne sert que de prétexte pour un twist contestable, puis éventuellement offrir un épilogue un peu plus optimiste à notre héros. D’autant plus visible qu’elle est la seule femme du casting. Dommage, son personnage laissait présager un traitement intéressant.

En conclusion, malgré une froideur trop présente et un rythme qui ne parvient pas vraiment à se mettre en place, occasionnant un troisième acte trop expéditif, le film est de très bonne facture. Jamais il ne s’excuse d’être un film de genre français et surtout il a l’intelligence de rester premier degré, jusque dans les manteaux longs des espions, sans paraître ridicule. Grâce à une excellente direction d’acteur et un véritable travail sur l’image et sur le son, on se prend facilement au jeu.
On est vraiment passé près du grand film, on surveillera Thomas Kruithof et ses amis, mentionnés dans l’introduction, qui tous représentent un véritable espoir pour le cinéma de genre grand public en France.





Antoine T.

Note du rédacteur : 3,5/5 (Bon)





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