vendredi 13 janvier 2017

The Birth of a Nation, de Nate Parker

The Birth of a Nation. Ce titre tellement évocateur pour n’importe quel cinéphile. L’oeuvre la plus célèbre de D.W. Griffith, traduit littéralement en France par Naissance d’une Nation, est une date dans l’histoire du cinéma. Une date par son incroyable mise en scène. Une date par son apport à la grammaire cinématographique. Datant de 1915, Naissance d’une Nation reste à ce jour l’un des plus gros succès du cinéma, en narrant à travers l’histoire de deux familles américaine une partie de l’histoire de l’Amérique : la guerre de sécession et la reconstruction de l’Amérique suite à cette guerre. Mais hélas, Naissance d’une Nation est aussi une œuvre idéologiquement exécrable. Œuvre raciste par excellence, le film de Griffith est aussi connu pour son discours lamentable envers la population afro-américaine, finissant littéralement par l’apologie du Ku Klux Klan en montrant cette bande de connards à cagoules blanches venant sauver la veuve et l’orphelin des noirs qui les prenaient en otage, « intolérants » selon l’un des intertitres.
Plus d’un siècle plus tard, une œuvre éponyme sort en salle. Premier film réalisé par l’acteur Nate Parker, celui-ci narre l’histoire vraie de Nate Turner, esclave ayant fini par mener une révolte contre ses tortionnaires en 1831. Le point de vue de l’histoire étant ouvertement à l’opposé de l’œuvre de Griffith, le film de Parker se veut-il réellement une réponse à celui-ci ? Rien n’est moins sûr…

Ça faisait des mois qu’on entendait parler de ce fameux Birth of a Nation. Énorme succès au dernier festival de Sundance, titre volontairement évocateur donnant le sentiment que Nate Parker souhaitait offrir au spectateur une version afro-américaine de l’histoire de l’Amérique, bande-annonce nous présentant un film violent aux forts accents de revenge movie pendant la période de l’esclavage, tout sur le papier donnait envie. Hélas, il n’est rien de tout cela. Véritable film de festival, probablement pensé pour faire pleurer dans les chaumières, et au passage, récolter quelques prix à la prochaine cérémonie des Oscars, Birth of a Nation est symptomatique de ces films historiques qui, à force de vouloir mettre aux yeux du monde ce que le spectateur qui ira voir son film sait déjà, se vautre complètement. Au lieu d’essayer de faire réfléchir sur les conditions qui ont amené l’esclavage à exister, Parker se limite à filmer ses esclaves soumis à la pire des conditions humaines. Le hic : on est en 2017. On le sait que l’esclavage était une horreur et que les esclavagistes considéraient les noirs comme du bétail. Qu’y a t’il derrière tout ça ? Que dalle. Pourquoi les hommes blancs se considéraient comme supérieur ? Cette question n’a apparemment même pas été évoquée par Parker…


Se voulant profond (ou voulant le faire croire), Parker abuse de symboles grossiers du genre « et vas-y que je vais te foutre un gros plan sur un épie de maïs qui saigne, comme ça même les plus cons auront compris que le perso est meurtri », « et vas-y que je vais te mettre le personnage qui saigne sur le coton la première fois qu’il va le cueillir parce que c’est une victime », la perle étant la dimension christique du héros. Présenté comme un prophète dès la scène d’ouverture, Parker filme son personnage sur une croix dès qu’il en a l’occasion, histoire de nous rappeler que cet homme s’est finalement sacrifié pour son peuple. Refusant toute forme de doute par rapport à l’aspect moral de son film, Nate Parker refuse même l’un des points les plus évidents du film : la vengeance. Même si on peut voir Turner ne plus supporter sa condition d’esclave pendant toute la première partie du film, le véritable élément déclencheur de sa révolte est véritablement le viol de sa femme. On est donc en droit d’attendre que celui-ci exploite vraiment cet aspect, d’autant plus que dans la seule bonne scène du film, Turner dit texto à sa femme: « dis moi qui t’as fait ça, je te vengerai ». Mais c’était trop espérer apparemment que la deuxième partie du film (celle qui montre la révolte des esclave) exploite vraiment une dimension plus humaine. N’assumant apparemment pas cet aspect du personnage, Parker lui fait faire un discours expliquant qu’il n’y a pas de vengeance dans ses actes une fois la révolte commencée. Mais si c’est ça, pourquoi lui avoir fait exprimer ce désir si c’est pour expliquer quelques scènes plus tard que ce n’est pas le cas ? Est-ce une simple intention de créer de l’émotion lors d’une scène, quitte à se contredire par la suite ? Peu probable… 


En revanche, cela peut-être la faute à l’autre problème majeur du film : The Birth of a Nation est techniquement l’un des films les moins maitrisés que l’on ait vu depuis longtemps. Outre une lumière bleutée / grisatre / profondément moche pendant la quasi totalité du métrage, le découpage est absolument incompréhensible. Sur-découpé comme c’est pas permis, le film n’arrive jamais à trouver le bon rythme de montage. L’atmosphère du film et le jeux des acteurs s’avèrent être pourtant assez lent, il est donc très surprenant de voir que les cadres s’enchainent pour la plupart à une vitesse beaucoup trop élevée. Vu la volonté d’opter pour un apparent classicisme en terme d’imagerie, il est difficile de croire que cette sensation désagréable est volontaire, et donne tout simplement l’impression que le rôle du monteur a été de rattraper un grand nombre d’erreurs faites lors du tournage. Enchainant faux-raccords-sur faux-raccords (la palme allant à un champs contrechamps montrant les personnages face à face sur le premier plan, puis se tournant le dos sur le deuxième), le montage semble s’être fait plus dans la douleur qu’autre chose. Ainsi, on sent que le film use d’artifices de rattrapage, au point de ne jamais permettre au spectateur de rentrer dans le récit en laissant de côté le propre du cinéma : la mise en scène comme facteur d’émotion. Et pour revenir à ce qui est exprimé plus haut, il est aussi possible que l'une des volontés de Parker était de faire basculer progressivement le personnage, le faire passer d'un désir vengeur à un désir de sauver tout un peuple. Chose que l'on ne comprend finalement pas, la faute à ce découpage beaucoup trop rapide pour que l'on puisse décerner chez les personnages leurs sentiments enfouis.



Pour revenir à l’œuvre de Griffith, quel est donc le vrai rapport qu’essaie d’entretenir Parker avec le film de 1915 ? Lui seul le sait vraiment. En l’état, il est impossible de savoir ce qu’il a réellement essayé de faire. Est-ce un désir de vraiment montrer une autre facette de l’Amérique, de faire justice à ceux que l’on a vu caricaturés ? Possible. Mais en soit, Parker fait abstraction des autres films qui sont passés avant lui, et il est quand même ridicule de se vouloir être un étendard revanchard lorsque l’on arrive derrière les autres, d’autant plus lorsque l’on aborde avec superficialité tous les aspects importants à ce genre d’histoire. L’autre possibilité, plus probable à mon sens, est que Nate Parker est un petit malin. Y a t’il meilleur moyen pour se faire remarquer que de se présenter comme la réponse, un siècle plus tard, à une œuvre ayant marquée la culture populaire, au point d'avoir contribué à ce qu'est devenu le cinéma par la suite ? Y a t’il meilleur moyen pour se faire apprécier que d’afficher une indignation facile en place publique ? Y a t’il meilleur moyen pour être encensé que de flatter l’égo de ceux qui vont aller voir ce que l’on a fait, en leur faisant croire qu’ils ont vu plus loin que tout le monde ? Dans une époque ou on se refuse à aborder les choses en profondeur, le film arrive pile au bon moment. Mais au final, j’accorderais une chose à Parker : il a bel et bien réussi à faire l’exact opposé de Naissance d’une Nation. Le film de Griffith est idéologiquement scandaleux, mais cinématographiquement une petite merveille. Le film de Parker, quant à lui, n’est pas raciste, mais cinématographiquement à la ramasse. Le film de Griffith est encore évoqué plus de cent ans après sa sortie comme une référence. Il y a fort à parier que le film de Parker sera déjà tombé dans l'oubli le mois prochain...






Claude S.

Note du rédacteur: 1/5 (Navet)
Note de l'équipe : 2/5 (2 notes)



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